Ludwika ♔ C'est sur les mêmes chansons qu'on vit, qu'on rêve et qu'on vieillit

La jeune femme laisse tomber un soupir en refermant le dossier qu’elle a ouvert devant elle il y a déjà une heure et qui, depuis, ne cesse de tracasser son esprit. Un divorce difficile entre deux partis, qu’elle n’est pas certaine de gagner, quoi que jamais aucun avocat ne puisse être vraiment sûr de l’emporter. La justice, parfois, c’était un peu quitte ou double. Pas toujours très juste justement, aux yeux de beaucoup. La justice avait, disaient certains, sa propre justice. Lisa devait bien admettre, parfois, qu’elle était relativement d’accord avec ce jugement. Elle-même, d’ailleurs, en avait été victime étant plus jeune, alors que la justice l’avait, par ses choix, privée de son papa.

Elle avait besoin d’un peu de temps, de se changer les idées, pour y voir plus clair. Une bonne discussion avec son cher et tendre l’aiderait probablement à trouver le meilleur angle d’attaque - parfois la meilleure défense - pour aborder cette affaire mais, jetant un regard à sa montre, la blondinette réalise bien vite que ce dernier est en pleine audience, occupé avec une affaire sordide ou une autre. Si elle comptait sur son aide et ses réflexions avisées, elle devrait donc attendre la fin de celle-ci, probablement aux alentours de seize ou dix-sept heures, à moins que celle-ci ne soit finalement ajournée. Elle verrait bien. Se contentant de lui envoyer un tendre message qu’il pourrait lire quand il le souhaiterait, la jeune femme rassemble pour sa part ses affaires, alors qu’il n’est pas plus de quinze heures, ou à peine. Aujourd’hui, toutefois, elle n’avait plus de rendez-vous et l’impossibilité d’avancer sur son affaire signait certainement la nécessité de souffler un peu.

Un coup de fil à son secrétariat plus tard et la demoiselle décide de prendre la route de Finkenwerder où réside sa grand-mère, devant la maison de laquelle elle se stationne bientôt, attrapant son sac à main pour sortir. Traversant la petite cours devant la maison, la jeune femme toque bientôt à la porte avant d’entrer, posant ses affaires dans le vestibule en faisant comme chez elle. D’une certaine façon, ici, elle y était toujours.

”- Mamie ? Mamie tu es là ? C’est Lisa !” annonce l’avocate. ”Je t’ai apporté du chocolat !”

La voix de sa grand-mère lui parvenant rapidement, lui signalant la présence de cette dernière dans la véranda, la demoiselle s'empresse de la rejoindre, un grand sourire aux lèvres, la retrouvant alors confortablement installée un petit plaid sur les jambes, auprès des vestiges de ce qui fut, elle s'en doute, une tasse de thé, encore quelques minutes auparavant. Un ouvrage reposant sur la table, non loin, Lisa reconnait sans mal un album de famille, qu'elle a déjà put consulter elle-même des dizaines de fois, si ce ne sont des centaines. Une fois de plus, sa grand-mère avait dû se perdre dans la contemplation de celui-ci, dans les souvenirs qui allaient de paire, bien-sûr, avec ces clichés immortalisés au fil du temps.

"- Très bien mamie, et toi ?""

Sa grand-père se levant pour l'embrasser, Lisa la serre fortement contre son cœur quelques secondes, avant de lui emboîter le pas pour la suivre jusqu'à la cuisine où, évidemment, Ludwika ne tarde pas à mettre de l'eau à chauffer, Lisa l'observant faire le regard tendre, le cœur gonflé d'amour. Un cœur qui se gonfle un peu plus encore lorsque sa grand-mère la questionne sur les motivations de sa visite.

"- Personne ne t'as prévenu ? C'est toi qui prépare le meilleur thé de la ville, tout le monde sait ça !" plaisante Lisa, sourire aux lèvres. "Et je sèche sur mon dossier, je n'arrive pas à avancer... Et Garrett est en audience jusqu'à 17 ou 18 heures." explique finalement la jeune femme. "Alors je crois que tout ce dont j'ai besoin pour y voir un peu plus clair, c'est encore de partager un bon petit thé et des chocolats avec ma grand-mère préférée !"

Un titre que Ludwika n'avait guère de mal à tenir, la grand-mère paternelle de Lisa étant décédée depuis bien des années, sans que Lisa n'ait vraiment de souvenirs de cette dernière. Elle était très jeune, à l'époque. Quand à Ludwika, elle était sans conteste la grand-mère idéale, celle que tous les petits enfants du monde voudraient avoir.

Quand un dossier ne trouve pas de solution, rien ne sert de s’évertuer dessus, de perdre du temps. Lisa sait reconnaître quand elle ne tirera rien de ses efforts. Dans ces moments-là, le mieux qu’elle ait à faire est encore de se changer les idées pour pouvoir revenir sur le dossier un peu plus tard et y apporter un regard neuf. Parfois, voir ses proches pouvait lui permettre de voir certains éléments sous un jour nouveau. Bien trop de monde sous-estimait l’importance de la famille. Mais pas elle. Auprès de ces personnes qui comptaient pour elle, Lisa savait tirer une certaine force, une certaine inspiration. Elle n’avait pas besoin de parler de ses affaires pour ça. Pas besoin d’être précise. Il suffisait parfois de quelques conversations anodines, tout simplement.

”- Yes !”

Comme sa grand-mère lui demande de porter la théière sous la véranda, la demoiselle ne se fait pas prier pour prendre le plateau que l’ancienne docteur a préparé, ramenant précautionneusement celui-ci jusqu’à la table de la véranda, sur lequel elle le pose sans en avoir renversé la moindre goutte. Les biscuits n’avaient pas même bougés. Elle n’avait cependant aucun mérite. L’équilibre, en patinage, était essentiel. Un équilibre, une grâce, qu’elle retrouvait au quotidien, même dans les mouvements les plus simples.

S’installant sur un siège, le regard de Lisa se perd un instant sur le filet de thé que sa grand-mère fait couler dans sa tasse, avant de la récupérer en la remerciant, lui adressant un grand sourire. Soufflant un peu sur le liquide, elle s’autorise un peu de miel dans celui-ci pour le sucrer, plongeant alors sa cuillère dans la tasse pour le remuer délicatement, avant de la reposer, portant la tasse à ses lèvres. Elle en prend une gorgée, avant de répondre à la question de sa grand-mère.

”- Garrett va bien, très bien même !” assure Lisa. ”On est en pleine préparation du mariage, il y a encore tellement de choses à faire !” poursuit-elle. ”Toujours très bien avec Jeremy et même Joshua. Mais Joah…”

La jeune femme laisse sa phrase en suspens, alors que la petite grimace dépitée qu’elle arbore en dit long. Avec Joah, ça reste compliqué, très compliqué. L’inimitié du jeune homme à son égard ne faisait aucun doute. Jeremy, qui était son ami avant toute cette affaire, avait compris que Lisa n’y était pour rien. Pour Joshua, s’il lui en avait un peu voulu au début, il avait fini par accepter qu’elle n’y soit pour rien. Qu’elle soit victime elle aussi. Puis l’eau avait coulé sous les ponts. Cela faisait déjà plus d’un an. Mais Joah… Joah continuait de lui en vouloir, lui. De ne pas l’apprécier.

”- J’aimerais bien que ce soit réglé d’ici le mariage mais…” elle pousse un soupir. ”Je pense que je peux rêver…” souffle la demoiselle en grimaçant.

Au-delà du mariage, cependant, il y avait une seconde raison pour laquelle Lisa espérait que les choses finissent par se tasser avec son beau-fils. Une raison assez peu évoquée auprès de ses proches pour l’heure. Amber en avait eu vent. Ruth aussi bien sûr. Mais c’était à peu près tout. Et Lisa pose un soupir.

”- J’espère que ça va finir par se tasser.” dit-elle. ”Après le mariage on…” elle cherche ses mots. ”On voudrait faire un bébé.” annonce Lisa. ”Mais je ne veux pas faire de tort à Joah.” Elle joue avec sa tasse. ”Alors j’espère que ça ira mieux d’ici là…”

Joah avait besoin de temps, cela semblait assez logique, Lisa pouvait parfaitement le comprendre. Et en même temps cela faisait déjà plus d’un an, à présent, que l’affaire avait eu lieu. Plus d’un an qu’il avait eu le temps de se calmer, de devenir plus raisonnable face aux faits, aux explications. Que nenni toutefois. Il restait sourd, pour ne pas dire aveugle, face à l’évidence même, reprochant à la jeune femme d’avoir pardonné à Garrett, d’avoir décidé de poursuivre son histoire d’amour. Comme si, en s’éclipsant, cela aurait permit qu’Alina et Garrett restent mariés. C’était une folie que de le penser, que de le croire. Garrett avait engagé les procédures bien avant que Lisa ne lui pardonne, se décidant enfin à s’engager dans cette voie, trouvant le courage qui lui avait manqué jusque là pour avancer dans son existence et surtout se libérer d’un mariage mort avant même d’avoir commencé.

”- Parfois je me dis que ça ne passera jamais.” souffle Lisa, défaitiste. ”Qu’il a besoin d’un coupable et que je suis idéale. Pour ne pas voir la réalité en face quand au mariage de ses parents, mort avant même d’avoir commencé. Tout ce que Garrett et son ex-femme ont en commun, ce sont leurs enfants. Mais ce n’est… pas ça qui fait un couple.” souffle-t-elle.

Garrett le lui avait confié lorsqu’elle avait vu son monde s’écrouler. Lorsqu’elle avait découvert la réalité. S’il était bel et bien marié, il n’avait en revanche jamais aimé son épouse et leur relation avait été, dès le départ, bien différente de celle qu’il avait avec Lisa. Il le lui avait dit et elle savait qu’elle pouvait le croire : elle était, elle, son premier amour. Le seul et unique, à vrai dire.

Ce n’est pas la faute de Lisa, si le mariage des Dinckel n’a pas été une réussite. Et comme un écho à ses pensées, sa grand-mère le lui confirme tout en faisant, en même temps, l’état des lieux de tout ce que Joah peut avoir sur le coeur, qu’il cherche tant à s’en débarrasser sur la jeune femme. Ils pouvaient pourtant se comprendre sur un point au moins : leurs mondes avaient volés en éclat et si celui de Lisa s’était réparé, il n’était pas sans séquelles demeurant encore aujourd’hui, la rendant stressée à l’idée de passer par exemple quelques jours sans son futur mari, tant cela lui rappelait les longues nuits seules à le croire à Berlin. Aujourd’hui, si elle lui faisait de nouveau confiance, l’éloignement restait terrible.

”- On aimerait bien oui !” acquiesce Lisa, comme sa grand-mère s’attarde sur l’hypothèse d’un futur bébé Dinckel pour agrandir la famille. ”Garrett pense que l’on  devrait se dépêcher, avant qu’il ne soit trop vieux. On attend seulement que le mariage soit passé.”

Son petit côté tradi.