IRINA • take care

Depuis deux jours à peu près, Galina n'était pas au mieux de sa forme, inquiétant quelque peu sa maîtresse. Toutefois, la patience avait été de rigueur alors que le vétérinaire ne pouvait pas les recevoir tout de suite, impliquant alors d'attendre le weekend pour prodiguer les soins nécessaires à l'animal. Ou au moins une consultation. Ce n'était peut-être rien. Peut-être que la petite Cavalier King Charles allait en réalité très bien et n'aurait pas besoin de grand chose pour se requinquer. Peut-être que sa maîtresse sortirait vraiment soulagée de son rendez-vous. L'avenir le lui dirait.

Dans la salle d'attente de la clinique vétérinaire, la quadragénaire jette un regard à sa montre alors que le docteur Weber accuse un léger retard pour lequel la blonde ne lui tient pas rigueur, consciente que la durée d'une consultation n'était pas une science exacte et que les autres patients n'étaient pas toujours parfaitement à l'heure pour leur rendez-vous. Alors elle patiente de nouveau, le regard perdu dans un vieux magasine mit à disposition quand une autre femme entre dans la salle d'attente accompagnée elle aussi de son fidèle compagnon à quatre pattes.

Elle relève la tête de son magasine de nouveau comme la nouvelle venue prend la parole, de toute évidence à son intention, comme elle la questionne sur l'état de santé de Galina.

"- Oh, elle est un peu fatiguée en ce moment, je ne sais pas trop ce qu'elle a. C'est pour cela que nous venons voir le docteur." répond alors la comptable, en anglais, avant d'ajouter. "Et le vôtre ?"

L'anglais, ce n'est pas sa langue maternelle, mais elle est tout de même capable de le comprendre et de le parler, de même que l'allemand, le russe, le suédois. Une chance pour l'inconnue, qu'elle devine étrangère, de fait. Comme elle, finalement, bien qu'elles ne semblent pas venir du même coin d'Europe.

"- Fraîchement arrivée en Allemagne ?" questionne donc la blonde.

Irina hoche la tête, comme son interlocutrice reprend la parole. Oui, elle aussi espérait bien que ce ne soit pas grand chose et que Galina puisse rapidement se remettre de ce petit passage à vide, de ce petit coup de mou. Elle espère de tout cœur qu’elle ne va pas apprendre une mauvaise nouvelle en entrant dans le bureau du vétérinaire et que ce dernier, au contraire, pourra être rassurant quant à l’état de santé de son petit chien, duquel la russe laisse l’inconnue approcher sa main prudemment. Elle n’avait pas à avoir peur, Galina était d’une nature calme et douce mais avec les animaux, il valait toujours mieux être prudent, ne pas prendre de risques. On ne savait jamais vraiment comment un animal pouvait réagir face à une situation donnée. Surtout quand il était faible et blessé, que l’instinct de survie pouvait se montrer particulièrement surprenant.

”- Merci !”

Mollement, Galina avance la tête pour renifler la main tendue, s’en désintéressant presque aussitôt cependant pour se recoucher entre les bras de sa maîtresse, laquelle reporte son attention sur le visage de son interlocutrice, cette dernière expliquant les motifs de sa propre visite. Un petit contrôle de routine, en somme. Irina plonge sa main entre les poils de la sienne, la caressant tendrement.

”- Je vous le souhaite ! Mais il n’y a pas de raison pour que cela ne se passe pas bien !”

Et elle rit comme la blonde suppose que son allemand approximatif l’a trahie. A vrai dire, elle avait engagé la conversation en anglais, mettant la puce à l’oreille de la comptable, assez naturellement. Rien à voir avec un allemand approximatif ou même l’accent de la demoiselle, qui dénote un peu dans le paysage, c’est vrai. Comme celui de la russe, cependant.

”- Vous avez parlé en anglais tout à l’heure.” remarque-t-elle alors. ”Je suis arrivé il y a vingt-six ans, mais je crois que la Russie n’a jamais vraiment voulu me quitter.” répond-elle comme Lily la questionne elle-même sur sa présence en Allemagne. Elle non plus, elle n’est pas d’ici, même si elle y vit depuis très longtemps.

Alors que l’inconnue blonde avoue que le chien n’est à elle que depuis quelques jours, à tel point que son mari et elle ne lui ont pas encore trouvé de nom, qu’elle ne sache pas même si celui-ci est vacciné, la blonde ne peut pas s’empêcher de froncer légèrement les sourcils, trouvant tout cela un peu étonnant. Il lui semblait que tout chien vendu devait l’être tatoué ou pucé et vacciné, au moins. Mais peut-être l’avaient-ils seulement recueillis après un abandon sauvage. C’était une possibilité, tant l’homme pouvait aujourd’hui être un connard fini avec les animaux.

”- Vous l’avez recueilli récemment ?” suppose la quadragénaire. ”J’espère que personne n’a osé vous le vendre sans l’avoir fait vacciner et pucer !” soupire-t-elle. ”C’est obligatoire normalement, mais certains sont tellement sans gêne et ne pensent qu’à leur petit profit, même quand il s’agit des bêtes...”

Cette femme avait cependant l’air bien intentionnée et aimante avec l’animal. Étrangère, aussi. Ce n’était alors pas de sa faute si quelqu’un avait osé lui vendre un animal sans respecter la légalité allemande qu’elle ne connaissait peut-être pas encore, si elle était arrivée trop récemment. Elle-même avait mis du temps à assimiler les lois allemandes quand elle était arrivée et encore, elle avait eu la chance d’être une enfant, de ne pas en avoir tout de suite vraiment besoin. Pas pour certaines choses.

”- Ce n’est rien, ce sont des choses qui arrivent ! Pour moi aussi, lorsque je suis arrivée, cela a été un peu compliqué et je parlais presque uniquement en russe. Intégrer l’allemand à mon vocabulaire n’a pas été immédiat, il n’y a pas à s’excuser pour cela.” remarque la jeune femme, compatissante. ”On est toujours un peu largué quand on arrive dans un nouveau pays. Et nos racines, comme vous le dites, ne nous abandonnent jamais vraiment. A moins que ce soit nous qui ne les abandonnons pas. Peut-être les deux !”

Comme son interlocutrice avoue n’avoir recueilli son petit animal que depuis trois jours, Irina hoche la tête. Effectivement, si elle était “maman” depuis si peu de temps, il était normal qu’elle se montre à ce point inquiète et qu’elle s’en fasse pour tout et rien. Irina avait été comme ça elle aussi et l’était encore par moment, assurément. Mais tout allait très bien se passer, son interlocutrice n’avait pas à s’en faire. Il n’y avait pas de raison pour que le docteur donne d’alarmante nouvelles, l’animal semblait aller bien. En revanche, apprendre qu’il n’était probablement pas vacciné ne manque pas de faire tiquer la blonde. Il lui semble bien pourtant que nul n’est en droit de vendre un animal qui n’est pas au choix pucé ou tatoué et vacciné. Ou était-ce seulement vrai dans le cas des éleveurs ? Les particuliers pouvaient-ils en être dispensés ? Elle n’en savait rien, mais n’en mettrait pas sa main au feu. Cela n’aurait pas de sens.

”- Hé bien c’est à vérifier mais il me semble que oui ! Mais si votre mari ne l’a pas acheté, c’est peut-être normal, dans ce cas. De toute façon, le vétérinaire pourra sans doute vous le faire aujourd’hui.” la rassure la blonde, rapidement.

Si Irina fait l'effort de parler en anglais à son interlocutrice, elle sait bien qu'elle fait figure d'exception. Les Allemands en général, hormis les frontaliers, ne font guère d'efforts avec les langues, se montrant très patriotiques envers leur langue maternelle au point de faire mine de ne pas comprendre les autres. La russe avait connu le même problème lorsqu'elle était elle-même arrivée à Hambourg. De toute évidence, les mœurs n'avaient pas vraiment évolué de ce point de vue là.

”- Et puis, arriver quelque part ce n'est jamais facile. Il faut du temps avant que l'on puisse s'y sentir chez nous...”

Elle était passée par là elle aussi, il y a déjà un moment de cela. Elle pouvait donc comprendre ce que Lily ressentait aujourd'hui. Elle pouvait comprendre que la trentenaire se sente un peu perdue, un peu dépassée. Il lui faudrait du temps pour se faire à son nouvel environnement, à une nouvelle langue. Mais si elle était parvenue à dompter la langue française, elle devrait s'en sortir avec la langue germanique. Après tout, tout le monde s'entendait pour dire que le français était la langue la plus difficile à apprendre.

”- Mais vous vous y ferez vite. Si vous avez survécu au français, il n'y a aucune raison pour que vous soyez réellement perdu avec l'allemand. Vous verrez, d'ici quelques semaines, ça ira beaucoup mieux !”

Alors qu’elle parle, Irina ne se rend pas vraiment compte qu’elle stresse un peu son interlocutrice, cette dernière ne sachant trop si sa petite boule de poil est vaccinée ou non. A priori, l’animal n’était pas encore tout à fait sevré. Probablement pas pucé ou tatoué non plus. S’il n’avait pas été vendu, voilà qui était normal. Dans tous les cas, tout se passerait de toute façon très bien aujourd’hui et le vétérinaire remettrait de l’ordre dans la situation en faisant le nécessaire pour ce petit chou. Il était toutefois parfaitement normal que la maîtresse de ce dernier s’inquiète. Si elle était à sa place, Irina ferait sûrement de même.

”- Ne vous en faites pas, expliquez seulement la situation au vétérinaire et il saura quoi faire. Tout sera en règle en sortant d’ici !” affirme la blonde. ”S’il n’a pas été vendu alors c’est normal que tout ça n’ait pas été fait. De toute façon, si le vendeur n’avait pas fait les choses correctement, cela n’aurait pas été de vôtre faute mais de la sienne, vous n’auriez rien eu à craindre.”

Il faudrait toutefois que cette femme parvienne à s’expliquer avec le vétérinaire. La barrière de la langue pouvait, cependant, constituer un frein à cela. Il faudrait que la blonde puisse s’expliquer avec son maigre bagage, ou que le docteur sache s’exprimer en anglais. Dans tous les cas, ce serait peut-être difficile. Cela l’avait été pour elle, au début, quand elle était arrivée en Allemagne.

”- Oui. Et puis cela ne dure qu’un temps !” affirme la quadragénaire. ”Le temps de s’acclimater !”

Il ne fait aucun doute que dans quelques semaines, cette femme sauras se débrouiller avec la langue du pays, à force d’y être confrontée quotidiennement. Cela avait beaucoup joué dans son propre apprentissage et la russe est persuadée qu’il en sera de même pour l’inconnue.

”- Oui ! Faites vous confiance et ça ira !”