La famille qu'on se choisit [ft. Abraham]

Je tourne en rond, je ne sais pas quoi faire. Je ne me sens pas à l'aise dans le nouvel appartement de mon père. Cet endroit ne me semble pas naturel. Ce logement représente à lui tout seul le bordel qui règne dans nos vie depuis quelques temps, depuis que papa a trompé maman. C'est bizarre de vivre à quatre à la maison maintenant et de ne venir que de temps en temps voir mon père. Je ne reviens toujours pas de ce qu'il a fait. Il a toujours été un modèle pour moi, l'homme parfait sur tous les tableaux. Et maintenant, il faut me faire à l'idée que mon père est un homme infidèle. J'en veux à mon père, c'est certain. Et pourtant, je l'aime tellement que je ne peux pas m'empêcher de venir le voir, de l'appeler tous les soirs et de lui envoyer des messages quasiment toute la journée. Mon père, c'est un peu le héros de ma vie. Même si pour le coup, le héros a fait de la merde.

Je finis par me laisser tomber sur le canapé et j'allume distraitement la télé. À cette heure de la journée, il n'y a rien d'intéressant et très vite je me retrouve à m'ennuyer. Mon père est sorti faire des courses et je devrais réviser pendant ce temps. Mais la flemme m'a prise et les pensées qui tournent dans ma tête m'empêche de me concentrer.

Je regarde l'heure, j'ai largement le temps avant que mon père rentre. Doucement, comme si quelqu'un risquait de m'entendre je me dirige vers mon sac où traîne dans le fond, un paquet de tabac à rouler et un briquet. Je suis stressée ces derniers temps et tellement déçue par l'ambiance qui règne dans la famille que je me suis mise à fumer en dehors des soirées. Pas grand chose, juste deux ou trois cigarettes par jour. Quand je suis au lycée c'est facile mais dès que je rentre, fumer dans le dos de mes parents demande un effort considérable et parfois des négociations pour que Zoé me couvre. J'ouvre la fenêtre en grand et me prépare une cigarette. J'ai à peine tiré deux bouffées que la sonnette retentit.

-Merde, je murmure entre mes dents.

Je jette rapidement la clope par la fenêtre avant de balancer tout mon bazar de mon sac. J'espère que je ne sens pas trop la clope. De toute façon selon qui est à la porte je m'en fous. Je remets de l'ordre dans mes cheveux et vais ouvrir. Je me trouve alors face à Abraham. C'est un ami de papa que je connais depuis toujours, il est comme un oncle pour moi. En espérant que l'odeur de tabac ne soit pas trop forte et que la fenêtre ouverte ne l'intrigue pas, je me pousse pour laisser l'homme entrer.

-Salut ! Papa est sorti, il ne devrait pas tarder à rentrer. Installe-toi je t'en prie. Tu vas bien ? Tu veux boire quelque chose ? je propose en fermant la porte, heureuse d'avoir de la compagnie.

Alors qu'Abraham se dirige vers la cuisine je le suis. Je me hisse sur la pointe des pieds pour sortir deux tasses du placard. J'attrape deux dosette de café afin d'en préparer pour nous deux. Autant en boire un aussi, ça me fera du bien et au cas où je sente la cigarette, cela changera l'odeur que je porte.

Abraham c'est un peu la personne cool vers qui je me tourne quand je sens que je ne peux pas parler à un autre adulte, quand le problème dépasse les capacités de papa. Il est la personne vers qui je vais quand mes amis ne peuvent pas comprendre et que je n'ai pas envie de parler à mes parents. Le voir aujourd'hui me fait vraiment plaisir, surtout que cela fait un moment que l'on ne s'est pas vu.

Alors qu'il me demande si je suis venue vivre chez mon père je secoue la tête de gauche à droite. Je prends le temps de finir de faire les deux cafés et de les poser sur la table avant de répondre.

-Non, avec mon frère et ma sœur, on est restés chez maman mais on passe quand même du temps chez papa. Je savais qu'il ne travaillait pas aujourd'hui alors je suis venue à la fin des cours pour le voir un moment, j'avoue.

Je ramène du sucre et deux cuillères sur la table de la cuisine avant d'envoyer un message à papa pour lui dire que son ami est là.

-Tu as vu mon père ces derniers temps ? je demande curieuse.

Une fois les cafés préparés et servis, la conversation continue. Je suis soulagée de savoir que mon père a vu son ami ces derniers jours. Ça me ferait énormément de mal de le savoir seul sans arrêt. Je sais qu'il est au plus bas à cause de cette situation et même si je lui veux, je ne peux pas m'imaginer une seule seconde souhaiter son malheur.

-C'est bien que tu l'aies vu. Oui je comprends bien, toujours aux quatre coins du monde, je réponds avec un clin d’œil en pensant au métier d'Abraham.

Je ne réponds pas tout de suite quand Abraham me dit qu'il est au courant pour mes parents. De quoi est-il au courant au juste ? Sait-il ce que mon père a fait ? Le mari parfait a-t-il osé avouer à son ami qu'il a lâchement trompé sa femme ? Ou Abraham sait-il seulement que maman demande le divorce ? L'homme finit par sortir une cigarette et me demande si j'ai un cendrier.

-Aucune idée, je réponds en me levant.

Je ne connais pas les placards de cet appartement et je ne sais pas si mon père garde un cendrier. Je finis par attraper une sous-tasse, cela fera l'affaire. Je me permets d'ouvrir la fenêtre avant de m'asseoir. Je ne suis pas sûre que mon père apprécierait beaucoup l'odeur de cigarette dans son appartement.

-Tu l'as trouvé comment ? Mon père. Il t'a dit quoi ? je finis par demander.

Puis, fixant le paquet de cigarettes, je finis par ajouter d'une petite voix :

-Tu m'en donnes une ? Ça reste entre toi et moi... s'il te plaît ?