Il n'y a pas que la force physique qui compte [PV Julius]

◭ Un rien peut nous briser comme un rien peut nous élancer vers nos rêves. ◭

Le soleil côtoyait de plus en plus avec l'horizon, avec la forte probabilité d'y disparaître d'ici quelques minutes. Bien qu'on n'était pas encore tout à fait en hiver, on commençait nettement à en sentir les effets. Je remontai mon col et continuais de fureter à droite et à gauche. J'avais donné rendez-vous dans ce parc, à ce banc précisément, mais par de subtiles indications. J'espérais de la personne que j'attendais qu'elle parvienne à décrypter le message, sinon je ne vois pas comment nous pourrions travailler ensemble par la suite.

Il me fallait quelqu'un de fiable et de compétent. C'est pour cette raison que j'avais choisi Julius Jaeger. Il avait l'esprit vif et combatif. Ça et le fait qu'il n'était plus sur le terrain. Grâce à mes contacts, j'étais parvenu à savoir quels étaient les combattants blessés qui ne pouvaient plus retourner sur le terrain. Je devais l'admettre, j'avais dû ruser pour cela, mais je ne regrettais rien. Il était question de pouvoir assurer mes arrières ici à Hambourg, et même si peu de monde savait que j'étais ici et que je m'étais retiré de la course temporairement, rien ne m'assurait que les concurrents de Von Rosen Inc. ne veuillent s'en prendre à moi. J'imaginais suffisamment l'impact qu'aurait un drame sur le rayonnement de mon entreprise, et même si je devais être l'un des rares à ne pas chercher le profit à tout prix, mon modèle de croissance était jalousé. Et qui dit jalousie dit irrémédiablement s'attirer leur foudre.

Le jour venait de laisser place à la nuit. Pourtant, il n'était à peine que 18h. Même si ce Julius n'était pas en retard, je ne pouvais m'empêchait de m'impatienter. C'était grisant d'établir son premier contact avec une personne qui accepterait peut-être de prendre en charge votre sécurité. Je l'avais dit à Irena qu'il n'était pas nécessaire de détacher une partie de notre service de sécurité. Je préférais qu'il soit au maximum de leur effectif pour faire leur travail et la protéger elle que moi. Et même si je ressentais le besoin maintenant de connaître quelqu'un qui puisse me protéger de temps en temps, je savais parfaitement me défendre si on venait à tenter quelque chose contre moi. Les entraînements de notre chef de sécurité avait bien porté leurs fruits et j'avais même demandé à ce que l'on mette en place un module pour les employés souhaitant savoir se défendre. Leur sécurité m'importait autant que leur travail. Cela avait été une des dernières mesures que j'avais prises avant de céder ma place à Irena. L'accident de Caroline m'avait pas mal secoué, et par la même occasion fait changer de perspective sur pas mal de choses.

Le vent faisait bruisser les branches des arbres environnant dans un concert de grincements et craquements qui aurait pu servir d'ambiance à un film d'horreur et aurait pu foutre la trouille au personnage principal. J'aimais la saison automnale, pour son ambiance et le fait qu'on pouvait profiter plus facilement le soir de l'extérieur parce que plus paisible et moins fréquenté. Malgré tout, je ne serai pas contre maintenant de m'installer auprès d'un feu et de lire.

Mais les affaires avant tout. Quelques instants me suffit pour ressentir une présence auprès de moi. J'étais certain que cela faisait déjà un moment qu'elle était proche de moi et que je ne l'ai détecté parce qu'elle le voulait bien.

« Bonsoir Monsieur Jaeger. Merci d'être venu, je suis ravi d'avoir attisé votre curiosité avec mon message.»

Je me décidai alors à tourner la tête vers l'individu.

◭ Un rien peut nous briser comme un rien peut nous élancer vers nos rêves. ◭

Oh ! L'homme manquait un peu de confiance en lui ? Après tout, comment le lui reprochait. Ce qu'il semblait avoir traversé aurait marqué n'importe qui et ne se serait peut-être pas remis sur pieds aussi vite que l'homme qui se tenait devant moi.

« N'ayez crainte. Si je vous ai choisi vous, ce n'est pas pour rien. Je sais que vous serez l'homme idéal. Après libre à vous de toujours refuser une fois que je vous aurai exposé la situation.»

Je l'invite à marcher à mes côtés, m'éloignant dans le même temps du banc duquel je m'étais levé. La nuit était bien tombée et les disparaissaient rapidement pour rejoindre la sortie du parc. A l'inverse, je souhaitais me rendre bien plus au centre. Sans aller à l'encontre des heures de fermeture, il restait une bonne heure devant nous pour établir les liens de notre rencontre convenablement.

« Voyez-vous, je suis venu ici à Hambourg pour relier avec une certaine partie de mon passé. J'ai donc mis mon poste dans mon entreprise en pause, afin de pouvoir accomplir ce besoin sans distraction aucune. Néanmoins, j'ai reçu des informations comme quoi certaines et certains de nos concurrents ne le voient pas de cette manière.»

Le froid transperçait mes vêtements, quoi que je fasse pour l'empêcher de venir me toucher. Mais ce n'était pas tant le froid qui me dérangeait ce soir, plus l'humidité et ce que les événements m'obligeaient à faire. J'avais pris contact avec mon chef de la sécurité à Zurich et grâce à son réseau, m'avait donné quelques pistes pour engager du monde ici à Hambourg. Bien sûr, je ne savais pas comment il avait pu obtenir de tels renseignements, et je ne voulais pas savoir. Tant qu'il respectait ce que je lui avais demandé, de ne pas franchir certaines limites, ça me convenait. Nous nous étions mis d'accord tous les deux, et il me le dirait si une situation nécessitait d'en franchir une. Heureusement, ça n'a pas été le cas jusqu'à maintenant et je croisais fortement les doigts pour que ce ne le soit jamais.

Ce fût le profil de Julius qui retint mon attention. Cet homme brisé par une mission en opération extérieur et à qui on avait enlevé sa raison de vivre. S'il ne pouvait retourner sur le terrain, j'étais certain qu'ici, à une échelle un peu moindre, il serait tout à fait capable de me couvrir des éventuels dangers qui rôdent dans les parages. Ce n'était pas encore survenu pour l'instant, mais ne valait-il mieux pas être prudent ? Après tout, beaucoup étaient jaloux de ma réussite honnête et de la loyauté de mes salariés. Certes, il y'eut certaines tentatives d'achat d'informations, mais il est vrai que je n'avais pas à me plaindre. Cela avait toujours été des fuites de moindre importance, et ainsi on obtenait l'inverse de ce que voulait mes concurrents, c'est-à-dire leurs informations. Alors forcément, ils ont pu s'en rendre compte, et maintenant que je suis atteignable, peut-être vouloir m'enlever pour faire chanter ma soeur ? Et cela, je ne le souhaitais absolument pas. Raison pour laquelle je souhaitais engager Julius Jaeger.

« Vous savez qui je suis et ce que je représente, je ne ferai pas l'affront de vous le demander. On pourrait vouloir m'atteindre pour faire chanter ma soeur, et je refuse que cela arrive. Vous comprenez donc pourquoi je souhaiterai vous engager ? Rassurez-vous, ce ne serait pas à temps complet, simplement quelques jours durant le mois. Prendre des renseignements sur mes éventuels concurrents ici en ville, en faire part à mon chef de la sécurité et à moi-même. Et le reste du temps vivre votre vie, ainsi ça n'impactera pas forcément beaucoup votre rythme de vie et vous permettra de continuer à vous remettre d'aplomb.»

Je marquai un temps d'arrêt puis me tournai vers lui tout en lui montrant ma main.

« Acceptez-vous ces termes Monsieur Jaeger ?»

Je le scrutai, le sourire poli aux lèvres, tentant de lire sur son visage un éventuel signe positif à ma proposition.

◭ Un rien peut nous briser comme un rien peut nous élancer vers nos rêves. ◭

Je me retrouvais relativement frustré par l'enchaînement de doutes et de refus de la part de Julius Jaeger. Cet ancien militaire n'était peut-être pas finalement l'homme de la situation. Et si je commençais à m'entourer de protection sans étudier ce que voudraient mes concurrents, c'était aussi peut-être se tirer une balle dans le pied et griller ses cartes trop vite. J'ai peut-être eu tort de le convoquer si tôt. Après tout je venais à peine d'arriver en ville, j'étais peut-être trop parano. Cependant, les épreuves de ces derniers mois n'avaient pas été simple à gérer, et je préférais être prudent. Mais l'ai-je été en invitant cet homme ici pour lui proposer de me protéger ? Toute la question était là, encore sans réponse.

« Vous avez raison Monsieur Jaeger. Je vous ai peut-être contacté un peu trop tôt. Au moins à présent je connais votre façon de procéder, et si j'ai besoin d'un leader, je saurai où le chercher.»

J'hésitai, ne sachant réellement comment faire pour la suite. Devais-je mettre un terme à notre entretien et couper court à toutes discussions futures ? Julius avait quand même fait le déplacement jusqu'ici, et même si je ne savais pas où il habitait, cela démontrait une courtoisie professionnelle indiscutable. Et il aurait été malpoli de ma part de disparaître sans même une explication. Je fis quelques pas vers lui, non sans avoir regardé autour de moi au préalable, comme pour être certain que cette confession n'atteindraient que ses oreilles à lui.

« Je comprends vos doutes Monsieur Jaeger, et aussi pourquoi le poste que je vous propose n'est pas pour vous. Néanmoins, ne doutez pas de ceci : vous restez toujours quelqu'un avec des talents certains qu'ils seraient dommage de gâcher. Je ne vous embaucherai pas aujourd'hui, mais je reviendrai vous chercher, vous êtes encore très capable. Il faut seulement que vous croyez en vous. Ce n'est pas la blessure qui vous définit, c'est comment la franchir qui fait ressortir ce que vous êtes. Ne perdez jamais ça à l'esprit.»

Je redressai le col de mon manteau pour me protéger du froid qui venait de bien s'installer. Le parc ne tarderait pas à fermer, et nous avions encore le chemin du retour à faire.

« Je vous remercie de vous être déplacé jusqu'ici pour me rencontrer. Si vous me dîtes ne pas être l'homme qu'il me faut, je vous crois sur parole. Je pense que le mieux est d'en rester là pour ce soir. Mais si vous souhaitez me recontacter, n'hésitez pas.»

Je sortis l'une de mes cartes de visite, et la lui donna. Elle contenait tout ce qu'il fallait pour contacter mon bureau à l'entreprise. Et si Julius appelait, j'en serai immédiatement informé.

« Passez un bon Noël Monsieur Jaeger, peut-être que nos chemins seront amenés à se recroiser. »

Je lui fis un signe de tête, et commençai à partir sur le chemin opposé par lequel il était venu. Même si la rencontre ne s'était pas terminée comme je l'avais imaginé, elle avait eu le mérite d'être intéressante. Et j'espérais peut-être vainement qu'il réfléchisse à ce que je lui ai dit, qu'il tente une nouvelle perspective de ses capacités et de sa vie actuelle. Qui vivra verra comme on dit.