L'air était lourd et aride autour d'elle. Il y avait la chaleur insoutenable qu'elle ressentait vraiment pour la première fois, les cris des hommes qui s'affairaient dans tous les sens leurs armes au poings, le désordre dans la discipline...
Respirer était une épreuve au milieux de ce curieux chaos. Amalia vivait ici son premier déploiement, sa première véritable expérience sur le terrain, mais rien ne semblait plus vraiment normal depuis que l'assaut avait été donné quelques heures plus tôt...
Elle essayait d'inspirer, mais sa cage thoracique semblait irrémédiablement oppressée. C'était comme avoir une enclume sur sa poitrine qui l'empêchait d'appeler l'air en elle. Chaque inspiration lui brûlait la gorge et lui cinglait les poumons. Comment vivre pouvait-il faire aussi mal ?
Le sable volait dans tous les sens et fouettait sèchement sa peau marbrée de poussière, épousant les sillons creusés par ses larmes versées. Les cheveux de la jeune femme virevoltaient de façon incontrôlée autour de son visage mais Amalia s'en moquait. Ils pouvaient bien la masquer ou la bâillonner, l'étrangler même, elle n'avait d'yeux que pour Julius qu'elle forçait à lui rendre son regard.
- Ne ferme pas les yeux Ju' ! Tu m'entends ?! Tu restes avec moi ! Étendu de façon dangereusement calme sur la civière, Julius Jaeger criblé de plusieurs balles de ses jambes à son torse, attendait d'être monté à bord de l'hélicoptère en charge de le rapatrier en urgence à la base la plus proche.
Amalia essayait de son mieux de maîtriser les sanglots qui menaçaient de la submerger et étreignait la paume de l'homme qui lui avait sauvé la vie. De toutes ses forces elle la serrait entre ses doigts tremblants encore couverts de son sang, sans jamais cesser de lui parler. Ou plutôt de l'engueuler ! Pourquoi il avait fait ça ?! Pourquoi il avait pris ces balles pour elle !? Il avait quitté sa position et était sorti de nulle part pour se jeter entre elle et l'ennemi ! POURQUOI ?! Selon elle, il était pourtant clair qu'il ne partageait pas ses sentiments à son encontre, puisqu'il n'avait cessé de jouer les girouettes à la vouloir et à la repousser depuis leur première nuit ensemble le jour de son arrivée au camps !
Est-ce qu'il... avait menti...? Caché son jeu ?
Ou était-ce son sens bien trop affûté du devoir et du sacrifice qui l'avait poussé à une folie pareille ? Pourtant c'était bien devant elle qu'il s'était jeté. Il aurait pu choisir de le faire face à n'importe quel autre soldat en danger. D'autres avaient été blessés. D'autres étaient tombés pour ne plus jamais se relever.
Mais non. Ça avait été elle. Encore et toujours elle...
Penchée au dessus de son corps affaibli, lui qui semblait toujours plus fort et inébranlable qu'une montagne, Lili pressa sa main bien trop froide contre son cœur à la torture, caressant son visage moite de sueur avec... amour.
Car oui, elle l'aimait. Elle avait tenté de se persuader que non, mais elle avait bien du finir par se rendre à l'évidence. Tout ça, ce qu'il y avait entre eux, ce qu'elle ressentait pour lui, ça n'avait rien à voir avec un crush ou une simple attirance physique. C'était ce qu'elle avait cru au début, mais chaque fibre de son être la poussait constamment vers lui. Quand elle fermait les yeux elle le voyait. Quand elle les ouvrait elle le cherchait... Elle ne respirait plus que dans l'attente qu'il l'embrasse chaque jour. Qu'il lui refasse l'amour... Ou même juste qu'il la regarde. Qu'il lui sourit. C'était totalement fleur bleue et absolument pas elle d'être aussi dépendante et niaise ! Alors oui, elle avait bien du croire à ses sentiments...
Amalia aimait tout de lui. Certes il avait le physique, mais elle avait surtout découvert l'homme derrière tous ces muscles et cette attitude souvent trop sérieuse. Il avait plus d'humour qu'il ne voulait le laisser paraître. Il était droit. Loyal. Altruiste. Courageux. Il n'était pas qu'un béguin, non. Elle l'avait su très vite à force de le guetter à tous les coins du camps... Il était devenu sa raison d'être.
Et c'était super flippant ! C'était lui qui avait pris la balle qui lui était destinée... Mais c'était elle qui avait la sensation d'être en train de mourir ! Elle avait cessé de respirer en voyant le visage de Julius se figer sous le choc de la douleur. Ils s'étaient regardés l'un l'autre alors que le temps avait semblé s'arrêter. La guerre s'était tue. Le monde s'était mis en suspend... et il était tombé à ses pieds, elle avec lui qui l'avait rattrapé de justesse.
Tout était alors reparti en accéléré... Entre ses bras, le corps de Ju s'était souillé de son hémoglobine à une vitesse irréelle. Amalia avait hurlé. Hurlé à s'en déchirer les cordes vocales afin que Matt et les autres viennent l'aider à le protéger et à le mettre hors de danger ! Plus rien n'avait eu plus d'importance que ça ! Elle se foutait de la mission. Elle se foutait des ordres. Des tirs ennemis qui pleuvaient autour d'eux. Elle n'avait voulu que le sauver.
- Allez on doit y aller maintenant ! hurla l'infirmier afin de couvrir le bruit du moteur et des hélices de l'hélico.
Amalia l'entendait, mais elle ne parvenait pas à lâcher la main de Julius. Elle la lui tenait depuis qu'il était tombé sur le champs de bataille. Jour et nuit jusqu'à ce qu'on vienne le chercher, elle était restée à ses côtés à le veiller.
Mais elle savait qu'elle devait le laisser partir. En partant, il avait une chance. Si il restait, c'était fichu... Elle renifla, se força à prendre une voix plus assurée et secoua sa main afin de le faire réagir ! De le faire l'écouter :
- Ju' tu restes en vie ! Tu m'entends ?! Je t'interdis de me faire ce coup là ! Je t'...
- Allez on charge ! La jeune femme sentit la panique l'envahir en le sentant lui être enlevé. Elle laissa ses doigts filer entre les siens aussi longtemps qu'elle le put, s'y accrochant de toutes ses forces, puis se hissa sur la pointe des pieds afin de pouvoir le voir une dernière fois au milieu des têtes qui s'affairaient autour de lui.
Un des médecin ferma la porte du véhicule qui décolla quasi instantanément, brisant leur regard, brisant son cœur...
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Dix jours... Dix interminables jours depuis que Julius avait été rapatrié. Après le raid qui avait mal commencé mais que l'armée avaient finalement réussi à retourner et dominer, le camps avait retrouvé son calme et sa routine militaire habituelle.
Tout le monde semblait continuer à vivre. Il n'y avait pas de place pour le deuil ici. Pas de temps. On pouvait y penser, mais on n'avait pas le loisir de s'y adonner. Des verres avaient été levés et des mots avaient été prononcé en l'honneur et en mémoire des soldats perdus au combat, mais ça s'était arrêté là...
Ce qu'ils faisaient ici était plus grand que tout ça. La bataille avait peut-être été remportée, le prix en avait peut-être été amer, mais la mission continuait. Il y avait encore beaucoup à faire ici...
Amalia ne dérogeait pas. La journée, elle se levait, mangeait, s’entraînait, remplissait ses missions et ses tâches habituelles avec une rigueur irréprochable, exécutait ses gardes, mais elle n'était qu'une ombre. Une automate qui traversait les heures dont elle ne semblait même plus avoir la notion.
La nuit en revanche... lorsqu'elle se retrouvait seule à l'abri des regards, elle ne pouvait s'empêcher de se torturer l'esprit. Elle avait réussi à cesser de pleurer à présent à peine sa porte fermée à présent, mais elle devait toujours combattre ses larmes lorsque la fatigue et surtout l'angoisse venait l'étreindre de leurs serres perfides et tortueuses.
Amalia était toujours dans l'ignorance quant à la santé de Julius. Elle ne savait rien de son état. Était-il mort ? Était-il en vie ? En sursis ? Si il perdait la vie pour avoir sauvé la sienne, elle ne se le pardonnerait jamais.
Avec un soupire, elle se laissa tomber sur son lit, éreintée, son visage las plongé entre ses mains qui allèrent renverser ses cheveux en arrière et masser sa nuque endolorie... Sa garde venant de finir, elle allait pouvoir se reposer un peu avant le raid d'aide à la population prévu dans l'après-midi.
- Rankin ! Amalia rouvrit ses yeux et se leva dans un juron :
- Quoi ?
- Stark veut te voir. Tout de suite.
- Ok, j'arrive.Depuis quelques jours, elle et l'escouade de Jaeger avaient intégré une nouvelle équipe. Celle du Major Logan Stark. Un homme qu'elle avait souvent aperçu aux côtés de Julius lors des temps libres. Ils semblaient bien s'entendre. Voir même être complices parfois. C'était plutôt un bon point. Ca voulait dire qu'ils devaient fonctionner un peu pareil, non ? Donc aucune raison de craindre une convocation. Après tout, malgré l'état de son cœur et de sa tête, elle ne laissait rien la dominer sur le terrain et accomplissait tout ce qu'on attendait d'elle sans faillir. Du moins, elle l'espérait...
Est-ce qu'elle était convoquée pour ça ? Parce qu'elle ne parvenait pas à masquer ce qu'elle ressentait aussi bien qu'elle le pensait ou l'aurait voulu...? Si c'était le cas, elle allait devoir se faire encore plus violence et vite ! Elle ne voulait pas qu'on la pense faible ou geignarde. Ce n'était pas elle ! Elle pouvait faire face. Qu'importe à quel point c'était dur.
Lili traversa le camps jusqu'aux quartiers de son nouveau supérieur et entra avant de le saluer à la militaire, droite comme un I, attendant de savoir ce qu'il lui voulait :
- Vous souhaitiez me voir, Major.Elle devait respirer. Elle était quasiment certaine de ne pas avoir laissé ses émotions personnelles empiéter sur son travail et son implication. Elle devait se faire confiance.
Qu'est-ce qui pourrait bien se passer de pire que le départ de Ju' toute façon...?