la nuit au musée (lukas)

Lorsque la date avait été fixée au lendemain, Lukas pensait vraiment qu'il allait passer son temps à fixer l'heure et s'impatienter parce que le rendez-vous n'arrivait pas assez vite à son goût. En réalité, il avait passé son temps à courir partout jonglant entre travail et vie sociale. Dès qu'il avait eu la réponse de Kai, il avait contacté une amie pour lui demander des conseils de mode pour ne pas arriver fagoter n'importe comment et envoyer le mauvais message à l'écrivain. Il ne s'habillait pas vraiment mal mais pour une fois il désirait vraiment faire un effort. L'apparence jouait beaucoup sur ce que les gens pouvaient penser, il était donc important de faire attention.

"- Lukas", L'interpella une collègue avec cette voix douce et mielleuse qu'il trouvait insupportable, "Avec les autres on a décidé d'aller boire un verre. Tu vas te joindre à nous n'est-ce pas ?"

Pour être honnête, Lukas était persuadé que ce sentiment d'agacement qu'il ressentait en voyant la jeune femme était en partie du parce qu'elle avait osé s'en prendre à Adelaïd. C'était peut-être grâce à elle qu'il avait pu apprendre l'un des secrets de sa soeur mais il n'excusait pas son comportement. Elle s'était comportée comme une vraie commère, se délectant du malheur et des peines des autres. Si elle le faisait avec sa cadette, elle le faisait avec d'autres et ça, Lukas ne le supportait pas. Si elle avait quelque chose à dire qu'elle le fasse en face plutôt que de se cacher derrière un sourire forcé.

"- Navré, j'ai autre chose de prévu ce soir. une autre fois", Lança-t-il poliment avant de s'éloigner vers la porte de sortie. Il n'avait pas envie d'expliquer ce qu'il allait faire. Il en avait suffisamment parler avec sa famille et ses amis, il ne comptait pas s’appesantir avec des collègues en qui il n'avait pas forcément confiance. S'il avait croisé Brünnhilde, il l'aurait forcément évoqué mais étrangement, la demoiselle n'était pas de garde ce jour-là. C'était rassurant de voir qu'elle ne se tuait pas complètement à la tâche !

Vu l'heure, Lukas avait largement le temps d'aller faire un tour chez lui pour prendre une douche et enfiler les vêtements que lui avaient prêté Eiza. Il n'en revenait pas d'avoir eu le droit d'emporter la tenue chez lui. Il s'était senti vraiment gêné mais il devait avouer qu'il se sentait vraiment à l'aise et bien dedans. Il n'était pas étouffé dans des morceaux de tissus qui ne semblaient pas lui correspondre. Son amie était vraiment la reine de la mode et elle savait parfaitement s'adapter à sa "clientèle".

"- Hey, doucement mon beau !", Souffla Lukas en se faisant attaquer par son chien dès qu'il ouvrit la porte de son appartement. L'animal semblait vraiment ravi de retrouver son maître. Dommage pour lui l'infirmier n'allait pas pouvoir passer la soirée à regarder un film blotti contre lui. Il avait autre chose de prévu et il ne comptait pas annuler comme ça. Il avait beau adorer son chien, il n'allait pas se couper du reste du monde. Même si aujourd'hui, il n'avait pas pu passer beaucoup de temps avec l'animal. Il l'avait promené avant de partir au travail et avait laissé la balade du midi à sa voisine. Elle l'aidait de temps en temps quand il avait des gardes un peu trop longues. En échange, il aidait ses enfants quand ils en avaient besoin pour leurs études. Et même si Lukas projetait d'acheter une maison sur le long terme, il savait qu'il n'abandonnerait pas les jeunes s'ils étaient encore dans l'embarras. Il s'était attaché à ces petits montres.

Ce fut après une longue promenade dans le parc proche de chez lui que Lukas rentra prendre une douche et se changer. L'heure commençait à tourner et l'impatience de retrouver Kai le gagnait de plus en plus. Il était un peu nerveux mais surtout il était persuadé que tout se passerait bien. Il n'y avait pas de raison que ça tourne à la catastrophe. Il ne comptait pas se jeter sur l'écrivain. Il allait profiter de la soirée et voir où ça pourrait les mener. Il s'était assez pris la tête avec tout ça, si ça devait arriver ça arriverait.

"- Sois sage, Merry !"

Lukas embrassa son chien une dernière fois avant de quitter l'appartement maintenant qu'il était prêt. Oui, il avait décidé d'appeler son chien comme l'un des Hobbits du Seigneur des anneaux. Il avait même prévu que lorsqu'il aurait un chat, il l’appellerait Pippin pour aller avec son chien. Il avait hâte d'en trouver un à qui offrir un foyer chaleureux. Mais en attendant, il se dirigea au musée avec empressement.

Sur la route, il fut assez tranquille. La plupart des citoyens avaient terminé le travail ou les cours. Il eut même la chance de tomber sur le parking presque désert avec les derniers visiteurs qui commençaient à partir. Certains le regardaient bizarrement, surpris de le voir monter les escaliers en direction de l'entrée. Il ne leur accorda pas vraiment d'attention, concentré sur ce qui l'attendait en haut des marches. En arrivant, les vigiles tentèrent de le pousser à repartir, mais Lukas leur annonça qu'il avait rendez-vous avec le directeur. Légèrement sceptiques, ils le laissèrent attendre pour voir si c'était vrai ou non, tout en gardant un oeil sur lui.

Sentant une pointe de stress l'envahir, Lukas laissa son regard se balader sur l'architecture des lieux. Par chance l'attente fut de courte durée et lorsque Kai s'approcha de lui, l'infirmier se sentit soudainement bien mieux. Il l’accueillit avec un sourire sur les lèvres, incapable de se retenir. C'était fou ce que l'écrivain pouvait provoquer en lui.

"- J’espère que votre journée s’est bien passée. Ça me fait plaisir de vous revoir.
- Le plaisir est partagé", Dit-il sans se forcer, "Ma journée a été dense. Mais j'imagine que la votre aussi."

Les derniers visiteurs avaient enfin quitter les lieux, il ne restait plus qu'eux et l'équipe de sécurité. Mais vu le signe que leur avait adressé Kai, ils n'allaient pas venir les embêter, Lukas resta donc concentré sur son vis-à-vis.

"- En tout cas, j'ai hâte de découvrir ce que le musée nous réserve pour la soirée. Si vous me dites que les oeuvres ne prennent pas vie dès que les visiteurs sont partis, je risque d'être très déçu !"

C'était ironique, même si ça aurait pu être très amusant, sauf si bien sûr les oeuvres avaient décidé de venir les éliminer. C'était souvent ce qui se passait dans les films où des héros s'aventuraient tard le soir dans un lieu rempli d'objets rares et anciens.

"- Oh, j'allais oublier, j'ai pensé à vous amener un petit quelque chose pour vous remercier de prendre le temps de me faire visiter le musée après une dure journée de travail", Dit-il en sortant un petit sachet rempli de chocolats noirs. Il avait hésité à prendre une bouteille de vin mais il n'était pas sûr que Kai apprécie l'attention. Il ne le connaissait pas vraiment encore et normalement avec des chocolats c'était dur de se tromper.

En entendant Kai lui annoncer qu'il n'y avait aucune oeuvre d'art qui se mettait en mouvement, Lukas fit une fausse moue déçue. Il avait déjà discuté avec ses patients d'une sortie au musée où tout se mettait en mouvement dès que les portes étaient fermées. Il avait cru comprendre qu'un film existait -ce qui ne l'étonnait guère pour être honnête. C'était très drôle d'en parler avec les plus jeunes car ils avaient de très bonnes idées d'aventures et de discussions. Ils étaient courageux mais aussi très curieux et pour eux discuter avec les oeuvres d'art c'était plus intéressant que d'aller le voir.

"- En revanche, pour ce qui est des fantômes, je ne peux rien promettre.
- Vraiment ?" Fit-il avec un sourire amusé sur les lèvres, "J'espère qu'on va en croiser. Les enfants espèrent que je vais avoir de bonnes histoires à leur raconter. Beaucoup rêvent de visiter un musée la nuit, quand ils apprendront que je l'ai fait, ils vont me jalouser."

Lukas savait qu'il aurait de belles histoires à raconter aux plus jeunes. Les grands s'en fichaient généralement même si certains se laissaient prendre au jeu plutôt que de rester ans leur coin à attendre que le temps passe. C'était quand même plus drôle de laisser son imagination se faire des films que de rester tout seul, bloqué dans une chambre d'hôpital.

Au moins son cadeau sembla avoir l'effet escompté, Kai avait apprécié le geste. Lukas pouvait donc ajouter une chose en plus à la liste qu'il se faisait mentalement des goûts alimentaires de l'écrivain. Il n'y avait pas encore grand chose sur cette liste mais il espérait qu'il arriverait à la compléter petit à petit au fil de leurs rendez-vous. Il ne voulait pas tout savoir d'un coup, même si ça pourrait l'aider à varier un peu. Il ne pensait pas offrir des chocolats à chaque fois qu'il serait invité par Kai.

"-J’espère que vous êtes bien couvert, il a tendance à faire assez frais la nuit."

S'il avait connu un peu mieux Kai, il aurait sûrement osé plaisanter en disant qu'ils pourraient toujours se réchauffer l'un contre l'autre. Mais vu ses sentiments, il était bien trop gêné pour dire quelque chose comme ça.

"- Ne vous en faites pas, avec mon pull, mon manteau et mon écharpe, je pense être bien équipé. Même si les enfants me diraient qu'il me manque un bonnet pour survivre !"

Lukas se rendit compte qu'il parlait peut-être trop de ses patients. Il les voyait tellement qu'il avait toujours quelque chose à raconter. Il espérait juste que ce n'était pas ennuyant pour Kai, il n'avait pas envie de l'importuner avec ses histoires de travail. Il comptait faire attention mais il ne pouvait pas promettre qu'il arriverait à tout retenir. Ça venait souvent tout seul. Alors pour le moment, il allait tenter de ramener le sujet sur le musée et Kai, comme ça il devrait arrêter de penser à son propre travail qu'il avait quitté quelques heures plus tôt.

"- En tout cas, j'avoue que ça me fait étrange d'être ici alors que tout le monde est parti ... Oh je suis ravi d'être avec vous, je trouve juste ça étrange d'être le seul visiteur !"

Ah les enfants ! Lukas n'était même pas étonné de savoir qu'un avait réussi à se faufiler dans un coin du musée pour rester après la fermeture. Il en côtoyait assez au travail pour savoir de quoi ces petits monstres étaient capables ! Il en avait vu des vertes et des pas mûres, même s'il était loin d'avoir connu les pires problèmes avec eux. Il avait la chance de bien s'entendre avec la plupart, lui donnant ainsi une relation de complicité qui les poussaient à ne pas trop le faire tourner en bourrique. Mais même avec ça, si un enfant avait une idée en tête, c'était très dur de la lui faire oublier. Les gardes de nuit étaient souvent les plus fatigantes à cause de ça. Si le musée ne se réveillait pas dès que le soleil se couchait, les enfants, eux, n'hésitaient pas une seconde à tenter de sortir pour voir le ciel étoilé et sentir le vent contre leur peau. Lukas comprenait parfaitement ce besoin de liberté qu'il avait longtemps cherché quand il était coincé à l'hôpital dans sa jeunesse.

« - Les enfants ont une sacrée imagination ! », Lança Lukas en essayant d'imaginer ce que le petit farceur avait pu voir dans le musée lors de son infiltration. L'infirmier imaginait une ombre dansante sur les murs des couloirs. C'était souvent ça qui donnait une belle frayeur à ses patients quand ils tentaient de rejoindre un de leurs amis dans une autre chambre. Au moins, ils restaient sages quand ils avaient peur d'un truc que leur propre imagination avait transformé en monstre sanguinaire.

Pour le moment le froid ne le gênait pas. Mais ce n'était pas une raison pour quitter son manteau, il ne voulait pas risquer d'attraper un bon rhume. Lukas détestait se retrouver coincé au lit, il ne supportait pas de rester trop longtemps inactif. Il avait bien trop souffert petit pour être sage, même s'il savait à quel point se reposer pouvait aider dans la guérison.

« - Vous êtes très élégant ce soir, d’ailleurs. »

Hein ?

Minute papillon ! Kai venait-il vraiment de dire qu'il était élégant ? Même très élégant si ses oreilles ne lui jouaient pas un tour. L'infirmier n'en revenait pas et sur le coup, ses joues prirent une jolie teinte rosée. Il s'était donné un mal de chien à trouver une tenue pour cette soirée, se voulant bien habillé mais pas trop, alors recevoir un compliment de Kai dessus lui faisait vraiment plaisir. Était-ce le signe qu'il lui plaisait aussi ? Non, non, non ! Ce n'était pas le moment de laisser ses espoirs monter en flèche. La soirée ne faisait que commencer, il était important de ne pas s'emballer trop vite.

« - M.merci ! », Balbutia-t-il alors qu'il tentait de retrouver une certaine contenance. Il ne pouvait pas laisser voir qu'il était gêné par ce qui semblait être un simple compliment. Il avait vraiment l'impression d'être ridicule à réagir aussi facilement à ce que disait ou faisait l'écrivain. C'était fou l'effet qu'il pouvait avoir sur lui !

Heureusement la conversation ne s'éternisa pas sur le sujet et Lukas emboîta le pas au directeur alors que celui-ci l'invitait à le suivre pour rejoindre la salle de repos. Il avait hâte de voir l'envers du décor et de comparer avec la sienne, qui devait être bien plus modeste et moins accueillante. L'hôpital n'était vraiment pas un endroit agréable où vivre. Mais avant de penser à la salle de repos, Lukas écouta Kai lui raconter son expérience sur les musées le soir quand tout le monde était bien au chaud chez lui ou que Lukas était coincé dans un lieu moins magique aux yeux du monde.

« - Ça semblait irréel, j’aurais presque cru pénétrer dans un autre monde. »

Le brun acquiesça. Il avait déjà l'impression d'être dans un autre monde, comme s'il était passé de l'autre côté du miroir. Et s'il était tout seul, il aurait été capable de laisser son imagination lui inventer de belles aventures et des fantômes pour le taquiner durant sa visite nocturne. Il était finalement un peu comme les enfants qui allaient le jalouser quand il leur raconterait sa sortie au musée.

« - Il y a une salle en particulier qui vous intéresse ? Quelque chose que vous n’avez pas encore eu l’occasion de voir ? »

La question surprit un peu Lukas. Certes, il avait accepté de venir visiter le musée en compagnie de Kai ce soir mais il n'avait pas du tout réfléchi à ce qu'il voulait voir de précis. Il s'était plus attardé sur sa tenue et ce qu'il pourrait dire ou faire pour essayer de voir si le directeur avait la moindre attirance pour lui. Il se sentait un peu bête jusqu'à ce qu'il repense à cette exposition temporaire qu'il n'avait pas pris le temps de voir. C'était l'occasion parfaite d'en profiter avant qu'elle ne disparaisse. Il était capable de se laisser avoir par le travail et d'autres choses. Le temps filait toujours à une vitesse folle !

« - Je ne suis pas contre jeter un coup d'oeil à l'exposition temporaire sur les pharaons. Vous parliez de momies tout à l'heure, on pourra aller vérifier si elles ne sont pas plus bavardes en ma compagnie. Sans vouloir me vanter, je crois que j'ai un bon feeling avec les momies ! », Dit-il avec un petit clin d'oeil. Il n'était pas le genre de personnes à se lancer des fleurs mais là il était évident qu'il plaisantait en disant ça. Tout le monde savait que les momies n'étaient pas vivantes en dehors des films.

« - Je loupe énormément d'exposition temporaire pour être honnête. Je me dis toujours que j'aurais le temps et … Ben non ! J'ai souvent la tête ailleurs et personne pour me rappeler qu'il ne reste plus que quelques jours avant de le regretter. »

Son entourage lui parlait plus des films à l'affiche au cinéma que des expositions au musée. Il ne s'en plaignait pas trop même s'il adorait découvrir de nouvelles choses. Et finalement avoir attendu lui permettait de profiter de l'exposition en compagnie de Kai et ça c'était encore mieux !

Lorsque Kai alluma la lumière de la salle de repos, Lukas put enfin découvrir à quel point les lieux semblaient plus accueillants qu'à son travail. Ce n'était pas bien dur d'y arriver pour être honnête. À l'hôpital tout devait être stérile. Les rares posters sur les murs de la salle de repos étaient des rappels pour bien se conduire après des femmes ou pour se faire dépister. Comme s'ils avaient besoin de ça avec tout ce qu'ils voyaient chaque jour.

« - Je comprends, c’est vrai que vous avez un métier très prenant. Ça ne laisse bien souvent pas la place pour faire autre chose. »

En entendant les paroles de Kai, Lukas hocha doucement la tête. Son métier était très prenant et à cause de ça il avait laissé quelques unes de ses passions, dont la photographie, de côté. Mais il ne pouvait pas réellement se plaindre puisqu'il adorait ce qu'il faisait. Il ne se voyait pas faire autre chose et ce même si les conditions de travail n'étaient pas les mieux. Ils étaient souvent les premiers interlocuteurs, donc ceux qui se prenaient tout à la figure si les patients et leur entourage n'étaient pas satisfaits, et puis certains médecins se pensaient tellement supérieurs à eux tout ça parce qu'ils avaient passé plus d'années à étudier qu'eux. C'était ridicule cette guerre entre médecins et infirmiers. Lukas était bien content qu'avec Robain, son chef de service, ils s'entendaient bien. Ils faisaient même du sport ensemble et sortaient souvent boire un verre ou deux. Certaines jasaient en disant qu'il avait un traitement de faveur en faisant de la lèche mais ce genre d'idioties n'arrivaient jamais jusqu'à ses oreilles puisqu'il faisait tout pour ne pas les écouter. Il n'y avait que les gens jaloux pour dire de telles bêtises lui avait-on dit plusieurs fois.

Mais il n'était pas le seul avec un métier très prenant. Kai avait aussi un emploi du temps très chargé avec son poste de directeur et sa vie d'écrivain. Il y avait de quoi être impressionné ! Surtout que Kai n'était pas que ça, il était aussi un père. Parent n'était pas le métier le plus reposant qui soit et même si Cosme était majeur maintenant, l'infirmier était persuadé que Kai s'en occupait encore autant qu'il le pouvait et que son emploi du temps le lui permettait. Il n'était pas sûr d'être un bon père de son côté. Mais la question ne se posait pas puisqu'il n'avait pas d'enfant à sa charge.

« - C'est compréhensible. Ça doit être difficile de jongler avec tout. Directeur d'un musée, écrivain et père. À côté, je ne suis qu'un infirmier, célibataire qui n'a donc que sa petite personne à sa charge. Enfin j'ai aussi Merry, mon chien, c'est un peu mon enfant mais c'est pas comparable quand même. »

Lukas se sentit légèrement rougir, de gêne, en réalisant ce qu'il était en train de dire. Bon sang ! Il avait l'impression d'avoir oublié son cerveau à la maison tellement il sortait de bêtises. Il allait ennuyer Kai à sortir des comparaisons sans intérêt comme ça. Et puis ce n'était pas le moment de montrer à quel point il pouvait être gaga de son chien -même s'il n'en était pas au point de se faire un t-shirt à l’effigie de l'animal. Il profita que son compagnon de soirée lui tournait le dos pour se passer une main sur le visage. Il devait se reprendre, histoire de ne pas se griller complètement dès le premier rendez-vous, qui n'était même pas un rendez-vous galant …

« - On coupe l’électricité la nuit dans la plupart des salles, donc nous aurons besoin de ceci. »

Lukas s'approcha de Kai pour récupérer la lampe. Lorsque ses doigts effleurèrent ceux du directeur, il sentit son cœur manquer un battement. Il se gifla mentalement. Sa réaction était digne d'un film à l'eau de rose... Mais était-ce sa faute si depuis la soirée qu'ils avaient passé ensemble, il rêvait de reprendre Kai dans ses bras ? Ce simple contact n'était donc pas insignifiant à ses yeux. Il ne faisait que lui rappeler à quel point il avait envie d'être auprès de l'écrivain.

Chassant sa gêne le plus rapidement possible, Lukas se concentra sur l'objet qu'il venait de récupérer. Une lampe de poche. Il avait vu Kai la tester quelques secondes plus tôt mais ce n'était que maintenant qu'il y prêtait réellement attention. Un sourire amusé se dessina même sur ses lèvres.

« - Là, on peut réellement dire qu'on est prêts pour l'aventure qui nous attend. Et je suis ravi de pouvoir la partager avec toi. »

Vous.

Toi.

Oh. Il venait de tutoyer Kai, comme ça. C'était sorti tout seul. Peut-être parce qu'il n'avait pas trop réfléchi avant de parler, qu'il s'était laissé aller à imaginer ce qu'ils pourraient découvrir dans les recoins du musée avec pour simple équipement, une lampe torche. L'envie de vivre un moment magique comme celui-ci avec l'écrivain lui avait donné des ailes … Mais tutoyer Kai était étrange et il avait tout de suite compris que quelque chose n'allait pas lorsqu'il avait dit « toi ». Il n'osait plus rien dire. Quel idiot ! Il en loupait pas une ce soir ...

Rares étaient les personnes qui se rendaient compte de la difficulté et de la charge de travail des infirmiers. Ils couraient partout, voyaient des patients souffrir et mourir, ils étaient pris de haut par les médecins et les parents, sans parler des heures et du salaire qui ne semblait pas à la hauteur de la tâche. Mais Lukas s'en fichait, il faisait un travail qui lui plaisait vraiment alors il était prêt à accepter les désavantages sans rechigner. Même si avec tout ça, il avait fini par se dévaloriser sans le vouloir. Il montrait peut-être le contraire mais il manquait souvent de confiance en lui quand l'enjeu était sérieux. Et là, il était sérieux, ses sentiments n'étaient pas une simple amourette de passage. Il tenait vraiment à Kai et puis il apprenait à le connaître plus il avait l'impression que ses sentiments grandissaient. Il ne pouvait plus les ignorer maintenant.

« - Vous avez aussi beaucoup de patients à gérer, certains très jeunes. Ce n’est pas rien. »

Kai faisait partie de ces personnes qui comprenaient qu'un travail ne se jugeait pas à la valeur de son salaire, ce n'était pas si simple pour certains. L'infirmier n'avait pas douté de ça mais par habitude ses sentiments, ses peurs, avaient pris le dessus. Et petit à petit l'écrivain les effaçait habilement avec ses paroles sincères. C'était aussi pour ça que Lukas se sentait bien en sa présence, car il n'avait pas l'impression d'être rabaissé. Au contraire, il était comme Kai, un être humain à part entière.

Un sourire rassuré se dessina sur les lèvres de Lukas. Il n'était pas le seul à trouver que les animaux faisaient grandement penser à des enfants. Lui aussi devait s'occuper de son chien comme d'un bébé. Il fallait le sortir pour ses besoins et le faire se dépenser, il fallait le nourrir à certaines heures et s'occuper de lui pour ne pas qu'il se sente seul, sans oublier son éducation. Mais contrairement à un enfant en bas âge, Lukas pouvait le laisser se débrouiller quelques heures sans que le chien risque de se blesser ou de pleurer. Les animaux étaient quand même plus autonomes. Et vu le travail qu'il avait, il ne pouvait pas s'en plaindre. Surtout que le seul caprice de Merry c'était son obsession à vouloir être dans la même pièce que lui, même lorsque son maître prenait sa douche ou allait aux toilettes. Oui, avoir un animal signifiait oublier son intimité !

La suite du programme était simple, ils devaient sortir de la salle de repos et se diriger vers la partie où les momies étaient exposées. Lukas avait hâte d'arpenter les couloirs avec sa lampe torche entre les doigts, tel un enfant emporté par les labyrinthes de son imagination. Mais c'était sans compter le dernier mot qu'il avait prononcé, « toi ». Si en temps normal le tutoiement serait passé inaperçu, à cet instant l'infirmier craignait d'avoir fait une erreur. Pourtant ce n'était pas l'envie de le faire qui lui manquait. Il souhaitait se rapprocher de Kai et le vouvoiement semblait être une étape à dépasser pour y parvenir.

« - Je pense que je ne pouvais pas rêver meilleur compagnon d’aventure que toi.  »

Cette phrase. Oui tout simplement, cette phrase. Lukas sentait que les mots ne voulait pas sortir mais il ressentait un immense soulagement à l'entente de ces paroles, comme si elles étaient la réponse à tous ses problèmes. Peut-être se faisait-il des idées mais au fond il s'en fichait. Il avait envie d'y croire. Il voulait penser qu'il avait une chance avec l'homme qui le regardait et se sentait prêt à oublier toutes ses craintes. Le sourire qui s'était dessiné sur son visage montrait bien à quel point il était bien à cet instant. C'était fou de se dire qu'avec quelques mots et un regard, Lukas se sentait perdre pied. Il se rendait compte à quel point Kai avait un pouvoir sur lui. Et heureusement il n'avait pas cédé à la tentation de réduire la distance à zéro entre eux. Il tenait à prendre son temps pour faire les choses correctement. Il voulait être maître de lui si ça devait arriver un jour et non figé sur place parce qu'il s'était rendu compte qu'il avait tutoyé l'écrivain. C'était ridicule, surtout maintenant qu'il savait que Kai désirait aussi passer au tutoiement.

Le contact visuel se rompit et sans un mot, les deux hommes se mirent en route pour la salle de l'exposition temporaire. L'instant avait été presque magique. Mais s'il racontait ça à ses patients il était persuadé que les jeunes le regarderaient avec une grimace. Il était le seul à avoir eu l'impression que le temps s'arrêtait et que quelque chose se passait entre eux. Une fois sorti de la bulle, tout semblait si … simple. Ils s'étaient tutoyés après toutes ses années. Il n'y avait rien d'exceptionnel à ça. Pourtant ça n'empêcha pas Lukas d'y repenser tout le long du chemin.

« - Je te présente Ahmôsis Ier, fondateur de la XVIIIème dynastie. »

L'ambiance avait complètement changée, même si l'infirmier se sentait toujours aussi bien – il ne pouvait pas déchanter après ce qui venait de passer. Son regard se posa sur le sarcophage, suivant l'avancée du faisceau lumineux de sa lampe pour rejoindre celui de Kai. Il aurait été capable de passer à côté de nombreux détails, là il observait chaque endroit qu'il éclairait, prenant ainsi soin de mieux apprécier l'exposition qu'il avait failli manquer.

« - Ravi de faire votre connaissance, oh grand Ahmôsis Ier. », Murmura-t-il à son tour. Il n'avait pas oublié qu'il avait vanté ses talents pour mettre à l'aise les momies. Ce n'était pas le moment de laisser penser à Kai qu'il avait juste fait ça pour l'impressionner.

« - Hm... Je crois qu'il n'a pas envie d'être dérangé ce soir. Il a vu assez de monde pour la journée. Dommage, je me faisais une joie de converser en sa compagnie. Il doit avoir beaucoup de choses à me raconter pourtant », Lança-t-il finalement, amusé, avant de se tourner vers Kai, « Donc je compte sur toi pour me dire ce que tu sais sur ce pharaon. »

Une fois le choc passé, le tutoiement venait naturellement.

Incapable de tenir une conversation avec une momie, Lukas fut bien obligé de laisser Kai prendre la relève et lui révéler tous les secrets de cet ancien pharaon. Il écouta attentivement ses paroles, ravi de pouvoir en apprendre plus. Toute nouvelle information était la bienvenue pour Lukas. Beaucoup ne comprenaient pas pourquoi il avait des étoiles dans les yeux dès que quelqu'un lui racontait une anecdotes, surtout que peu importait le sujet pour l'infirmier. D'autres se disaient simplement qu'il n'avait pas assez connu les bancs de l'école et donc qu'il n'avait pas assez subi les leçons ennuyantes des enseignants. C'était une excuse qui lui semblait ridicule puisqu'il avait les mêmes diplômes que les autres parce qu'il avait du tout rattraper de son côté avec ses absences à répétition.

« - C’était un bâtisseur, un conquérant. C’est à lui qu’on doit le commencement de ce qui fut plus tard le Nouvel Empire, la période la plus florissante de l’Égypte antique. »

Lukas hocha la tête, fasciné par ce qu'il entendait. Il ne pouvait s'empêcher d'essayer d'imaginer quelle vie ce pharaon devait mener. Ce n'était pas évident car finalement il ignorait énormément de choses concernant l'époque. Il était donc d'autant plus ravi de pouvoir en apprendre plus en compagnie de Kai.

« - C'est impressionnant », Souffla l'infirmier sans quitter du regard la momie devant lui, « Il a fait tellement de choses en si peu de temps. À côté j'ai l'impression de n'avoir rien fait de spécial. Mais bon j'ai une excuse, j'ai eu un début difficile. J'ai pas côtoyé les trônes mais les lits d'hôpitaux à dix ans ! »

Absorbé par ce qu'il était en train de découvrir, Lukas n'avait pas remarqué qu'il venait de parler de son enfance et plus particulièrement de cette période qui lui avait coûté une enfance normale. Il ne l'évoquait presque jamais, même si maintenant il avait compris à quel point il avait eu de la chance de s'en sortir. Il voyait bien trop d'enfants souffrir et certains finissaient par succomber. Il ne pouvait pas se plaindre, surtout qu'il avait toujours eu une famille à ses côtés pour le soutenir. C'était même grâce à celle-ci qu'il avait pu survivre. Si son frère ne s'était pas sacrifié pour lui, il aurait pu attendre encore longtemps avant d'avoir un donneur compatible.

« Et ici nous avons sa femme… et probablement aussi sa sœur, Ahmès-Néfertary. »

Une légère grimace étira son visage.

« - Je me verrais pas me marier avec mes sœurs. Mais bon, c'est une autre époque ! »

De toute façon la question du mariage ne s'était plus posée pour lui depuis son divorce. Il avait si peur de se remettre avec quelqu'un, alors imaginer passer sa vie aux côtés d'une personne lui semblait impossible. Du moins jusqu'à l'arrivée de Kai dans sa vie. Ses peurs et ses doutes semblaient s'effacer dès qu'il croisait son regard. Cet homme avait un pouvoir sur lui, impossible de lui résister. Le voulait-il vraiment ?

Lukas s'apprêtait à répondre à Kai, qui lui proposait un catalogue de l'exposition, quand un drôle de bruit les interrompit. Un sourire amusé se dessina sur les lèvres de l'infirmier, habitué à des sons presque effrayants lorsqu'il faisait ses gardes à l'hôpital. Ce n'était que leur esprit qui s'amusait à leur jouer des tours, il n'y avait rien d'étrange, si ?

« - Tu entends ça ? »

Hochant lentement la tête, Lukas essaya de réfléchir à l'explication la plus plausible mais le bruit recommença de plus belle. Son imagination se mettait doucement en route.

« - Serait-ce un fantôme ? Après tout, tu m'as assuré que les œuvres ne prenaient pas vie la nuit, ça ne peut pas être notre momie. »

Ne pouvant s'en empêcher, Lukas se tourna vers l'endroit d'où le son semblait provenir. Il était curieux de découvrir quel était la chose qui le poussait à croire que l'endroit était hanté. Plus les secondes passaient, plus l'idée du fantôme semblait être possible. C'était fou à quel point le cerveau humain était fort pour créer des histoires.  

Si certains pharaons avaient aussi eu des problèmes de santé, ils avaient quand même accompli de grandes choses comme le disait si bien Kai. Ce n'était pas le cas de Lukas. Même s'il aidait des enfants dans son travail à aller mieux ou à supporter leurs séjours à l'hôpital, il était loin de laisser une trace dans l'histoire. Il n'avait pas découvert de remède miracles, il était juste un simple infirmier. Mais cette pensée ne l'effleura pas vraiment. Il était bien trop perdu dans sa contemplation. Et elle ne risquait plus de s'immiscer dans son esprit maintenant qu'ils avaient un fantôme à chasser. Leur petite visite tranquille allait finalement se transformer en aventure épique  ?

«  - Honnêtement, je n’ai aucune idée de ce que ça peut être. Je n’ai jamais entendu un tel bruit ici, de jour comme de nuit.  »

On ne pouvait pas dire que c'était très rassurant comme nouvelle. Mais Lukas refusait de croire qu'il y avait un fantôme, ce n'était pas possible. Pourtant c'était un drôle de bruit pour un intrus. Peut-être étaient-ils trop loin pour bien entendre ? Ou alors étaient-ce les conduits d'aération qui déformaient le son et le rendaient plus effrayant ? Si on rajoutait à tout ça une petite dose d'imagination, on trouvait le combo parfait pour se faire un film d'horreur.

De son côté, Kai semblait plus inquiet que Lukas. Ce n'était pas guère surprenant. Le directeur devait s'imaginer une faille de sécurité et peut-être une tentative de vol. C'était une lourde responsabilité de gérer un musée. L'infirmier ne pouvait pas lui en vouloir de garder la tête sur les épaules et son sérieux dans de telles circonstances.

« - Oui, il est préférable d'aller jeter un coup d'oeil pour vérifier ce qui peut provoquer ce son étrange. »

Lukas apprécia que Kai n'essaye pas de l'abandonner dans un coin, histoire d'assurer sa sécurité. Il était préférable de descendre à deux et d'affronter la chose ensemble, même s'il y avait de grandes chances que ce soit trois fois rien. Le musée semblait bien protégé, l'infirmier ne voyait pas comment quelqu'un aurait pu passer la sécurité et atterrir dans une des caves. Cependant ce n'était pas en restant ici qu'ils allaient avoir des réponses à leur question. Ils se mirent alors en route vers l'ascenseur de service pour rejoindre le sous-sol. Avec sa lampe de poche entre les doigts, Lukas avait vraiment l'impression de s'aventurer dans les profondeurs du musée tel un aventurier qui partait à la découverte d'un temple abandonné depuis des siècles. C'était plus fort que lui.

« - Il n’y a que deux caves dans ce sous-sol, alors quoi que puisse être ce qui cause ce bruit, il est forcément dans l’une des deux. »

Lukas hocha doucement la tête. Il était presque déçu de ne pas avoir un labyrinthe à affronter. Mais ça il allait le garder pour lui. Il ne voulait pas paraître un peu trop immature vu la situation. Il espérait vraiment qu'ils n'auraient pas à faire face à un homme armé, il n'était pas vraiment entraîné pour ça. Il était plus là pour sauver des vies.

« - Hm, je n'entends rien pour le moment », Murmura Lukas en essayant de tenter l'oreille. La porte avait peut-être effrayé la personne ou la chose qui était là. Il n'hésita pas une seconde avant de franchir le pas de la porte pendant que Kai tenait encore la porte. Il n'avait peut-être pas pris conscience du danger qui pouvait les guetter mais son travail lui avait appris à reculer devant rien. Il ne pouvait pas se tétaniser devant une blessure alors que la vie de quelqu'un était entre ses mains et celles des autres personnels. La moindre hésitation pouvait être fatale.

Lukas fit un tour avec sa lampe de ce qui l'entourait, essayant de repérer quelque chose d'étrange. Il ne pouvait pas dire « inhabituel » puisqu'il n'avait jamais vu l'intérieur avec ce soir. Il découvrait en même temps qu'il cherchait. À première vue il n'y avait aucune trace d'un voleur prêt à lui sauter dessus pour l'assommer avant de fuir par la porte ouverte. Mais il ne remarquait rien d'autre qui aurait pu provoquer ce son étrange.  

La lumière ne tarda pas à se déclencher, grâce à Kai qui connaissait mieux que lui les lieux. Lukas abaissa sa lampe pour observer autour de lui. Il ne remarqua rien de suspect, l'endroit était vide. Le bruit s'était aussi arrêté quelques instants avant de reprendre, leur permettant de conclure que ce n'était pas ici qu'il y avait un problème. Il leur restait encore la deuxième cave à vérifier comme le soulignait le directeur. Ils n'étaient pas encore au bout de leur surprise. L'infirmier espérait que tout irait bien pour eux.

« - Oui, allons-y », Souffla-t-il avant de quitter la pièce pour laisser Kai refermer derrière lui. Il le suivit jusqu'à la suivante, attendant que l'écrivain ouvre la porte. La situation était vraiment délicate. Pour le moment rien de grave ne s'était passé, mais il y avait des chances que tout finisse par leur échapper s'ils se retrouvaient face à un intrus armé. Mais ce n'était pas le moment de penser au pire, ils étaient arrivés jusque là, ils ne pouvaient plus reculer. À eux deux, ils devraient pouvoir s'en sortir.

Sans un mot, Lukas s'engouffra à l'intérieur de la pièce en compagnie de Kai. Pas de lumière cette fois, très bien, ils allaient devoir éclairer les lieux à l'aide de leurs lampes. Heureusement qu'ils étaient équipés pour ce genre d'aventures, même s'ils étaient loin de pouvoir rivaliser avec un voleur. Mais s'il y en avait vraiment un, il était très bien caché car il n'y avait aucune trace de lui dans la cave. C'était plutôt un soulagement, l'infirmier n'était pas prêt à affronter un intrus pour être honnête. Il était grand et sportif mais il n'était pas entraîné pour se battre et désarmer un ennemi sans se blesser au passage. Peut-être devrait-il penser à prendre des cours un jour, on n'était jamais assez prudent dans la vie.

« - Je ne comprends vraiment pas ce qu– »

Kai ne termina pas sa phrase, sûrement surpris par le grattement qui fit son retour. Maintenant qu'ils étaient tout proches, Lukas n'eut pas l'impression qu'un être humain en était l'origine, pensé que l'écrivain partageait aussi.

« - Oui, mais ça ne nous dit toujours pas ce que c'est », Souffla Lukas en se tournant vers la source du bruit, au milieu de cartons et de bâches, drôle d'endroit pour faire son nid. Il laissa Kai s'approcher, plissant un peu les yeux pour essayer d'apercevoir quelque chose avant de relever la tête vers son compagnon d'aventures. Ils semblaient avoir entendu tous les deux quelque chose et sans plus attendre, l'infirmier fit quelques pas en avant. Il confia sa lampe à l'écrivain et tenta de dégager quelques cartons et une des bâches devant lui. Il ne pouvait pas rester sans rien faire après avoir le gémissement plaintif de ce qui semblait être un animal. Il n'y avait pas la place pour un être humain, surtout qu'il y avait peu de chances que quelqu'un ait pu pénétrer ici comme ça, la magie n'existait pas.

« - Je crois qu'il y a quelque chose dans le fond », Souffla-t-il tout doucement comme pour ne pas effrayer l'animal. Les lampes n'éclairaient que le devant puisqu'il y avait encore une bâche qui bloquait la vue mais Lukas avait repéré du mouvement dans le fond. Il allait devoir agir avec précaution pour ne pas laisser une chance à l'animal de prendre la poudre d'escampette. Il n'était pas question de le laisser coincé ici ou de devoir le poursuivre dans tout le bâtiment.   

Prêt à bloquer le passage, Lukas faisait attention aux issues possibles. Heureusement avec les cartons et les bâches, il n'y aurait pas beaucoup de solutions pour l'animal s'il comptait s'enfuir loin d'eux. L'infirmier était même sûr qu'il viendrait de son côté et qu'il pourrait ainsi l'avoir au passage. Mais finalement celui-ci se trouvait coincé par des ficelles, l'empêchant de prendre la poudre d'escampette, cela expliquait pourquoi il miaulait et grattait autant. Pauvre petite bête, pensa-t-il en laissant Kai le récupérer, l'enroulant dans sa veste pour éviter tout problème.

« - Les chats ont cette capacité à s'infiltrer dans les moindres recoins, comme s'il avait la capacité de passer à l'état liquide ! », Dit-il en se redressant pour regarder le chaton que lui présentait Kai. Il ne put s'empêcher d'esquisser un sourire attendri en voyant la boule de poil, c'était un adorable bébé, encore plus mignons que ceux qu'il voyait au service pédiatrie de son travail. Oui, il avait toujours été plus attendri par les animaux que les humains mais il s'était toujours demandé s'il avait un enfant un jour s'il ne changerait pas d'avis.

Lukas hocha doucement la tête, bien d'accord avec ce que l'écrivain lui disait. Il était préférable d'emmener le chaton chez le vétérinaire pour s'assurer que tout allait bien et qu'il n'avait pas de famille qui le cherchait. Bon vu son âge, il y avait de grandes chances qu'il soit abandonné, c'était souvent comme ça. Les gens préféraient laisser leurs animaux faire des petits et les laissaient dans la nature pour ne pas avoir à dépenser, plutôt que de stériliser leurs bestioles. Lukas n'avait jamais compris pourquoi l'être humain était aussi froid face à des êtres vivants. Mais plutôt que de partir sur une note déprimante, il préféra plaisanter un peu.

« - Ce n'est que notre premier rendez-vous et voilà que nous avons déjà un enfant à charge ! Je savais que les choses pouvaient aller vite de nos jours mais pas à ce point. »

Il s'était répété cinquante fois que ce n'était pas un rendez-vous mais une sortie entre amis qui pourrait peut-être aboutir à plus si tout se passait bien et voilà qu'il qualifiait cette soirée de premier rendez-vous ! Il sentit ses joues s'empourprer immédiatement en prenant conscience de sa gaffe.

« - Enfin tentons de lui enlever la ficelle avant qu'il ne se fasse trop mal », Dit-il en espérant qu'il pourrait noyer le poisson avant que Kai ne relève ce qu'il avait dit. La santé de l'animal passait avant tout. L'infirmier profita d'aller récupérer les lumières sur l'étagère pour retrouver son calme et éviter de finir rouge pivoine à cause de ses bêtises.

« - Nous ferions mieux d'aller quelque part où il y a plus de lumière et moins de chance que l'animal nous échappe dans un recoin inaccessible, non ? »

Lukas n'avait pas très envie de poursuivre un animal déjà bien effrayé toute la nuit. Il n'aurait jamais imaginé que sa sortie prendrait cette tournure mais finalement ça rendait l'instant inoubliable, surtout si à la clé il pouvait récupérer l'animal. Il l'imaginait déjà en train de dormir lové contre Merry qui l'attendait sagement à la maison.

« - Pippin serait un nom parfait pour lui », Marmonna-t-il légèrement perdu dans ses pensées.   

Lukas ne fut pas mécontent de quitter la cave. Il n'avait pas peur de tomber sur un fantôme ou un cambrioleur, même après le léger stress qu'ils avaient vécu, mais il devait avouer qu'il y avait mieux comme endroit pour profiter d'une soirée en charmante compagnie. Au moins ce serait une sortie qu'il ne pourrait pas oublier de si tôt. Ils pourraient même en rire une fois qu'ils auraient pris soin de cette petite boule de poils qu'il tenait dans ses bras pour laisser Kai ouvrir les portes et différents accès jusqu'à la salle de repos.

Une fois dans l'ascenseur, Lukas releva le nez du chaton pour regarder Kai qui lui avait posé une question. Avait-il vraiment dit l'idée de nom à haute voix ? Il n'avait pas fait attention. Il fut cependant plus surpris par le fait que l'écrivain avait compris la référence que par le fait qu'il avait entendu ses paroles. Après tout, il n'y avait pas de mal à imaginer un nom pour cette adorable petite boule de poil, non ? C'était même quelque chose de tout à fait naturel. Dès qu'il avait vu son chien, celui qu'il était censé garder quelque temps seulement, il avait immédiatement pensé que Merry serait parfait pour lui.

« - En effet, c'est bien Pippin, le hobbit, que j'avais en tête. Je sais pas pourquoi mais comme il a tendance à se retrouver dans des situations pas possibles, un peu comme ce petit bout, ben j'ai pensé que ça pourrait lui convenir », Confia-t-il tout en sentant ses joues s'empourprer légèrement. Il n'avait pas honte de ses goûts et ses passions mais il ne pouvait s'empêcher de vouloir se montrer sous son meilleur jour devant Kai. Il avait vraiment envie d'attirer son regard.

« - Je dois avouer que le Seigneur des Anneaux est une trilogie que j'affectionne tout particulièrement alors j'ai tendance à y faire des références assez souvent. »

Sa gêne s'estompa doucement et lorsque les portes de l'ascenseur s'ouvrirent à nouveau, il avait retrouvé son calme. Il parlait de ce qu'il aimait, il se sentait déjà plus à l'aise. Et puis même si Kai n'aimait pas ce genre de films, ce n'était pas une raison pour le juger négativement. L'écrivain n'était pas ce genre de personnes, Lukas avait confiance en lui.

« - Et le nom de mon chien, Merry, vient aussi de là », Dit-il en avançant à travers les couloirs en compagnie de Kai. En avouant ça, il comprenait qu'il avait peut-être inconsciemment donné le nom de Pippin au chaton parce qu'il l'avait imaginé en compagnie de son chien, lovés l'un contre l'autre. Après tout les deux hobbits faisaient la paire dans les films. C'était le genre de duo inséparables qu'on avait du mal à imaginer l'un sans l'autre. Mais peut-être que ce chat n'apprécierait pas trop se retrouver avec un chien, Merry pouvait paraître impressionnant même si c'était une crème. Lukas commençait à se dire que le prendre chez lui n'était peut-être pas la meilleure idée pour ce chaton qui semblait déjà effrayé, se débattant dans l'espoir de fuir loin de l'infirmier qui lui aussi était assez impressionnant du haut de son mettre quatre-vingt dix ! 

Sur le coup Lukas eut envie de proposer à Kai de se plonger à nouveau dans l'univers de Tolkien en sa compagnie. Il serait ravi de partager ça avec l'écrivain vu que c'était un univers qu'il affectionnait vraiment. Il avait tous les livres et les DVD, ne pouvant résister à l'envie d'agrandir sa collection dès qu'il le pouvait. Il s'était même fait violence pour attendre le coffret collector de la première trilogie en version longue pour ne pas avoir cinquante fois les mêmes DVD. Son enfance lui avait appris l'art de la patience puisqu'il avait passé des mois enfermé dans une chambre à l'hôpital à cause de ses problèmes de reins. Heureusement qu'il avait eu un frère compatible pour le sortir de là. « Je suis bien d'accord. Je peux pas m'empêcher de relire de temps en temps les livres de la trilogie. » Combien de fois les avait-il dévoré au lieu de commencer une nouvelle histoire ? C'était même à cause de ça, et de son travail, qu'il n'avait pas eu le temps d'avancer dans le livre de Kai.

« Pippin... C’est vrai que ça lui va bien. Et il est tellement maigrichon, lui aussi aurait probablement besoin d’un second petit déjeuner. » Lukas eut l'impression que son cœur avait sauté un battement en entendant les paroles de Kai. Il n'en revenait pas que son compagnon de soirée lui sorte une référence au Seigneur des anneaux. Cet homme était encore plus parfait à ses yeux maintenant qu'il parlait de sa trilogie préférée. Et si ça continuait comme ça, il n'allait pas pouvoir attendre sagement de voir s'il avait vraiment une chance avant de lui demander de sortir avec lui. « C'est vrai, le pauvre a du partir à l'aventure sans prévoir un bon casse-croûte. Il va falloir qu'on remédie à ça rapidement. » Dit-il en reprenant ses esprits. Ce n'était pas le moment de se laisser séduire par Kai, ils avaient un chaton à gérer avant tout.

Lukas suivit le directeur jusqu'à la salle de repos. Il faisait attention à bien tenir le chat dans ses bras, sans pour autant le serrer trop fort. Il avait l'habitude de Merry qui était quand même plus costaud que la petite boule de poil qu'il avait contre lui. Mais il avait aussi l'habitude de s'occuper de bébés et de jeunes enfants alors il savait être délicat quand il le fallait. « Un chat peut tenir quelques temps mais il est jeune et il pourrait avoir des problèmes de reins s'il ne s'hydrate pas correctement au moins. » Lukas en savait quelque chose de ce genre de soucis de santé. Il espérait que ça irait pour Pippin car il s'était déjà attaché à ce petit monstre qu'il imaginait encore peloté contre Merry. Les deux feraient la paire. Même si Lukas n'osait pas trop imaginer le stresse que ça pourrait être pour le chaton s'il lui présentait son chien qui était loin d'être petit. Mais il ne pouvait pas le laisser dans la rue ou l'amener dans un refuge, les conditions de vie n'étaient pas les meilleures. « Bon maintenant, on sait qu'il ne pourra s'échapper n'importe où. », Souffla Lukas en faisant face à Kai. « Que faisons-nous de lui ? Enfin comment tu veux t'y prendre pour lui retirer la ficelle ? »