Arthur * A n'en pas douter, Ben&Jerry's ont eut pas mal de peines de coeur

Il a tellement mal. Ce soir, il n’a pas de concert. Pas besoin de se rendre jusqu’à la salle, pas besoin de répéter les notes mélancoliques et nostalgiques de Tchaikovski. Pas besoin de se forcer. Il n’a rien d’autre à faire que de se préserver, se préparer pour le prochain concert ; pas avant quelques jours. Alors en attendant, il se contente de cuver la douleur, errant entre son lit et le canapé, puis entre le canapé et le frigidaire vide de la cuisine. Il erre comme une âme en peine, en cherchant de quoi se changer les idées ; une série netflix, un bouquin, un film nul à la télévision. Il ne sait pas, bordel, il ne sait pas pourquoi ça fait aussi mal. Depuis le début de cette étrange relation, Arthur avait réussi à se convaincre que ça n’était que du sexe – ou du moins, pas grand chose de plus que du sexe. Qu’ils se désiraient, qu’ils s’appréciaient, et que le danger de leur relation donnait une dimension un peu folle à leurs parties de jambes en l’air.

Mais Arthur se souvient de Paris. Il se souvient de ce corps à corps tendre et lent. Il se souvient des mots qu’il a dû ravaler pour ne pas les murmurer à l’oreille du brun. Il se souvient aussi qu’il les a ravalés de justesse, qu’il est passé près de la catastrophe – si près du je t’aime. Si. Près.

Lisa lui a téléphoné ce matin, et comme il n’a pas réussi à faire le moindre effort pour prétendre qu’il allait bien, il n’est pas très étonné de la voir débarquer à sa porte. Elle frappe et s’annonce – c’est la seule personne de son entourage qui l’appelle Art, il déteste ce surnom et ne le tolère que dans la bouche de la jolie brune. Il s’approche de la porte qu’il ouvre et la dévisage un instant. « Salut », il marmonne, de mauvaise grâce. « Qu’est-ce que tu fais là ? » il demande, en penchant un peu la tête. « J’allais sortir une bouteille, tu tombes bien. » Oui, parfaitement. Une bouteille pour cuver sa tristesse – et que personne ne s’avise de juger. Arthur soupire et s’écarte pour qu’elle puisse entrer dans son appartement et y déposer ses affaires. Il la laisse se glisser, puis referme la porte derrière elle. Il a conscience qu’il va falloir qu’il trouve une bonne excuse à son comportement – pour ne pas avoir à parler du fait qu’il s’est tapé son demi-frère.

Ce n’est pas qu’il soit désagréablement surpris de la voir, plutôt qu’Arthur n’est pas très doué niveau confidences, et que de fait, il ne sait pas comment aborder la question de Lazlo. Il ne peut décemment pas raconter à Lisa ce qu’il lui arrive, comme ça, de but en blanc. Il ne peut expliquer à personne qu’il s’est brisé le cœur en brisant celui de son demi-frère, dont il est presque maladivement amoureux. Personne ne comprendrait – sans doute pas même la brune, malgré sa bonne volonté et son esprit ouvert. « Hey, Lise, calme-toi. C’est rien de grave, j’aurais appelé sinon, ok ? » il demande en secouant la tête comme il referme la porte derrière elle. « Je sais bien que tu serais venue si je t’avais appelée. Mais je n’ai pas besoin d’en discuter, là, j’ai plutôt envie d’oublier », il explique en haussant une épaule. « La période est pas très simple, c’est tout. » Il dit ça, et son cœur accélère sa course dans sa cage thoracique. Il a l’impression qu’il va étouffer. « Je fais partie de ces gens qui n’ont pas systématiquement besoin de parler de ce qui les tracasse et qui préfèrent parfois oublier, tu sais ? » il demande en haussant une épaule. Ca n’a pas d’importance, que son cœur soit brisé. Ca n’a pas d’importance qu’il aille mal, qu’il ait mal au cœur. La seule chose qui lui importe, là tout de suite, c’est la souffrance de Laz. Il ne pense qu’à ça, tout le temps. A chaque instant qui passe, à chaque minute qui défile sur l’horloge. A son cœur brisé, au sien, au secret qu’il ne peut aborder avec personne parce que personne ne pourrait comprendre.

« Merci d’être venue », il finit par murmurer en la voyant déballer ses affaires. « Et merci pour les sushis ». Et puis comme ça, sans prévenir, il s’approche d’elle pour la prendre dans ses bras, il niche sa tête contre son épaule et il prend une inspiration. Non, il ne va pas pleurer. Mais sentir l’étreinte des bras de la jeune femme autour de lui lui apporte déjà une certaine forme de réconfort non négligeable. « J’ai été obligé de mettre un terme à une relation qui m’apportait pas mal de bonheur », il explique en fermant les yeux. « C’est une rupture, rien de dramatique, c’est juste… compliqué », il lâche en soupirant, avant de reculer. « Mais ça ira. Je vais m’en remettre. J’avais juste oublié à quel point il valait mieux fuir les engagements. » Mais il a retenu la leçon pour cette fois, c’est certain. « Et toi, ça va ? »