Tonight we are young - Erika

Il n'était pas loin de dix-neuf heures quand Charlie avait rendu son tablier dans son restaurant. Il avait prit sa soirée, autant dire que ce n'était pas courant et que ses employés et collègues avaient été surpris de voir cela arrivé. Le quarantenaire n'était pas du genre à faire du leste quand il s'agissait de prendre sa soirée, alors, les gens en cuisine avait fait des paris pour savoir s'il avait un rencard ou si c'était juste pour se reposer. Charlie le savait très bien, il aurait des questions indiscrètes demain matin en revenant, et ça le faisait rire d'avance.

En tournant au coin de la rue, remettant correctement son col de manteau, il imaginait déjà ce qu'il pourrait dire à ses camarades culinaires et en souriait d'avance, il n'hésiterait pas à demander des idées à Erika, sa compagne de la soirée. La jolie blonde n'était pas une de ses filles avec qui il allait passer la soirée sans la rapeller dans les semaines qui suivent. Erika...C'était Erika. Son double, son âme soeur amicale, lui mais en masculin.

Ils s'étaient rencontrés il y a très longtemps, quand ils étaient plus jeunes et ça avait tout de suite matché entre eux, si bien qu'au fil des années, l'amitié est toujours restés. Erika avait un drôle de métier qui pouvait en effrayé plus d'un, mais pas Charlie, au contraire, il trouvait que c'était une jeune femme courageuse. Ce soir, ils sortaient manger au restaurant, cela changeait de l'une de ses soirées qu'ils passaient dans l'appartement de l'un ou de l'autre. En plus, Charlie avait le ventre qui gargouillait rien que de penser aux plats qu'il prendrait.

Il regarda la montre qui était à son poignet et remarqua qu'il n'était pas vraiment  à l'heure mais en retard non plus. En arrivant devant l'enseigne du restaurant de grillade, il jeta un oeil à l'intérieur pour voir si sa meilleure amie était déjà installée. Visiblement, elle n'était pas encore là, il resta planter alors dans la rue, attendant la jolie blonde.

”- Je suis désolé, je suis un peu pressé ce soir. Mais on se revoit très vite Emily !” assure la jolie blonde.

Arrangeant sa chevelure rapidement, la quadragénaire quitte son client, traversant le salon en accordant un signe de la main à la jeune femme qui s’y trouve. La sœur, d’après ce qu’elle sait, de cette nouvelle patiente dans son carnet d’adresse. Une autre femme courage faisant son possible pour un proche en situation de handicap. Une autre femme qu’Erika admire pour le don de soi dont elle se rendait capable. De par son métier, de par ses contacts, elle rencontrait vraiment des personnes formidables, touchantes, aux histoires incroyables. C’était son moteur, ce qui l’avait grandement poussé dans cette voix si particulière qu’elle avait embrassée.

Rentrant chez elle rapidement, la blonde s’empresse de rejoindre la salle de bain, se préparant en vitesse pour ressortir, alors qu’elle se sait attendue ce soir. Et si elle ne se dépêche pas davantage, d’ailleurs, elle sera en retard. Charlie lui pardonnera sûrement, conscient que de par le métier de la jolie blonde elle pouvait avoir des imprévus, un patient en dépendance sociale au moment de partir, avoir du mal à s'éclipser alors, au milieu d’une crise. Toutefois, autant que faire se peut, elle préférait ne pas faire trop attendre le cuisinier, consciente qu’il avait pris sa soirée pour elle, ce soir.

Un regard à sa montre et la blonde fait claquer la portière de sa voiture avant de prendre la direction du restaurant de grillade devant lequel elle ne tarde pas à arriver, y apercevant bien vite la silhouette du quadragénaire qu’elle rejoint, l’enlaçant immédiatement avec l’impression de ne pas l’avoir vu depuis un temps fou. Avec leurs emplois du temps parfois dingues - surtout celui de Charlie - c’était peut-être bel et bien le cas, du reste.

”- Tu vas bien ? T’as pas trop attendu ? Désolé je voyais une patiente un peu nouvelle aujourd’hui, ça doit faire un mois que je vais chez elle, c’est encore un peu compliqué au moment de partir !”

Voir sa meilleure amie arriver lui fit prendre conscience de sa vie d'adulte. Quand ils étaient jeunes, ils n'avaient qu'à passer chez l'un et l'autre et l'aventure commençait. A présent, il fallait tout organiser. Certains laisseraient vite tombé les retrouvailles mais pas Erika. Par chance, Charlie l'avait elle. Alors, oui, ils ne se voyaient pas aussi souvent qu'il le voudrait, mais cela rendait ces moments bien plus uniques. Il l'a pris dans ses bras, la serrant légèrement, elle lui avait manquer, les messages et le virtuel ne remplaceraient jamais la réalité qui était bien trop importante.

Elle expliqua la raison de son retard, il ne pouvait pas lui en vouloir, travailler avec des clients, il savait ce que c'était. On savait quand on prenait son poste mais jamais quand on le terminait. Lui-même enrageait quand des clients arrivaient à 5 minutes de la fermeture pour prendre un dessert ou un verre qui s'éternisait. Erika travaillait avec des gens dans une profonde dépendance sociale, il imaginait que cela pouvait être compliqué de partir après chaque rendez-vous.

-Il n'y a pas de soucis, ne t'en fait pas. Je vais bien et toi?  Allons-y! avait-il dit en tirant la porte pour la laisser entrer dans le restaurant. Tout de suite, un serveur arriva pour les amener à leur table. Ils s'installèrent et prit la carte qu'on leurs tendirent.

-J'ai l'impression que cela fait des mois qu'on s'est pas vu ! Il faudrait qu'on mette en place une tradition qui nous permettrait de nous voir plus souvent. Avait-il ajouté. -Super Erika qui prend soin d'une nouvelle personne...Tout se passe bien avec elle?

Avec les années, les amitiés se transforment, évoluent, pour s’adapter au rythme de vie des adultes, à leurs responsabilités. Était-ce une vie, réellement ? N’étaient-ils pas, quelque part, prisonniers de cette existence qu’avaient les grandes gens ? Passé la vingtaine, l’humain ne devenait-il pas une sorte de pantin réglé comme une horloge ? Quelque part, si. Ils ne pouvaient plus se permettre la même spontanéité que dans l’adolescence, où il suffisait de passer chez son ami pour l’inviter à sortir ou aller jouer. Aujourd’hui, s’ils s’y risquent, ils ont toutes les chances du monde de trouver porte close, de se retrouver bec dans l’eau à simplement devoir faire demi-tour. La vie adulte ne permettait tout simplement pas de simplement vivre comme on l’entendait, en faisant fit des montres, des horloges, du temps. Elle était, tout au contraire, rythmée par les aiguilles, par les factures à payer, par le travail à honorer. Tout ce que, plus jeune, Erika avait redouté, voyant dans cette existence ni plus ni moins qu’une cage autour de ses ailes. Une cage dans laquelle elle s’était finalement laissée enfermée elle aussi, comme tant d’autres l’ayant précédée.

”- Oh ça va, ça va. Je te suis !”

Entrant dans la bâtisse, ils ne tardent pas à prendre place autour d’une table à laquelle un serveur les conduit, leur donnant à chacun une carte avant de s’éclipser. Erika ne se fait pas prier pour ouvrir celle-ci, jeter un oeil sur le menu, duquel son meilleur ami la détourne rapidement, s’engouffrant d’ores et déjà dans les questions. Et la blonde sourit, songeant à ce moment où le serveur reviendrait une fois, deux fois, trois fois, et où ils devraient dire qu’ils n’avaient toujours pas fait leur choix. C’était un coupo classique, duquel ils étaient habitués pour ne pas dire spécialistes.

”- Peut-être pas des mois mais beaucoup trop de temps !” acquiesce la blonde comme l’homme regrette le temps passé sans se voir. ”Il me semble que c’était il y a une éternité que nous pouvions nous voir tous les jours.” elle soupire.

A une époque, elle s’était promis que ce genre de situation ne lui arriverait pas. Jamais. Aujourd’hui, force était de constater qu’elle n’avait pas fait exception à la règle, malgré sa soif de liberté. Avait-elle vraiment eu le choix que de s’y plier ? La vie avait ses codes, ses lois, en quelque sorte.

”- Je dirai que ça se passe plutôt bien, elle est adorable, même si elle est un peu… disons.. dépendante.” confesse-t-elle. ”Mais c’est souvent comme cela, dans leur situation. Avec leur famille, nous sommes parfois leurs seuls contacts avec le monde.” regrette-t-elle. ”Et toi ? En plein dans la préparation de la prochaine carte du restaurant pour la période estivale ?”