Les sabres du soleil transpercent sa peau de lys lorsqu’ils ne se butaient pas à l’envergure des bâtiments. Il est assis à l’arrière du véhicule, le dos droit des gens fiers ou de l’homme débecté par l’insalubrité des autocars. Plus encore, par les personnes qui les peuplent. Tous ses sens interagissent avec l’habitacle, un contact à fleur de dégoût. Il y a ces mains qui ne connaissent ni propreté, ni délicatesse, se posent, ingrates, sur les poteaux au centre du couloir, frappent sur les boutons « stop », enfin, annoncent un fracas imminent de l’exode en cours. Alors fracas des corps sales, collision des parfums nauséabonds, ces carcasses tuméfiées par le labeur accompli la journée durant.
Jörg n’est pas un amateur de transports en commun ; là où la foule fleurit, s’amoncelle comme une mauvaise herbe sur le terrain fertile de son mépris.
Dans ce théâtre de décrépitude, ses grands airs se dressent au-dessus de la gangrène végétative qui siège sur les fauteuils le regard en perdition, ou s’amasse contre la porte de sortie.
Jörg n’aime vraiment pas les transports en commun, pourtant seul moyen qu’il possédait afin de rejoindre Alstadt où il tâchait d’imaginer Milo, cloisonné entre les murs de sa baraque.
Entre les deux hommes, il n’est pas véritablement une question d’amitié, ni pour l’un, ni pour l’autre. Pour cela, il faudrait cesser d’ériger des murailles entre les coeurs, fustiger l’orgueil de l’esprit, et d’aucun cela n’était l’ambition. Indubitablement, quelque chose demeure en suspens, pour l’heure, il n’est pas lieu de faire mention d’un quelconque affection. Ils se connaissent depuis longtemps, avant d’atterrir à Hambourg, mais le temps et les événements n’ont jamais eu d’autres effets que de les réunir sans que l’un d’eux ne soit saisi par un douloureux sentiment de fuite, souvent causé par leur profonde indifférence à l’égard d’autrui. Ainsi, dans cette existence insoutenable, les misérables se font compagnie.
Milo avait cessé de donner des nouvelles à Jörg qui ne s’était pas laissé atteindre par cette soudaine absence. Il n’était plus obligé de consulter son téléphone en faisant semblant de ne pas avoir reçu les appels de Milo. Il n’avait pas su pour l’accident, il savait que quelque chose était advenu et dans quelles circonstances, mais il n’avait pas souhaité en savoir davantage, et Milo n’avait pas tenu à le mettre au courant.
Mais le silence des journées de l’Adam était devenu pénible au creux de ses oreilles et il avait choisi, par les hasards que provoquent l’oisiveté, de lui rendre visite. Il y ferait irruption, sans intention de prévenir de son arrivée imminente.
(…)
Ses phalanges cognent contre la porte afin de signaler sa présence. Il se tient, impatient, sur le perron tandis que son regard vacille de droite à gauche, sillonnant les alentours. Il n’est pas un homme de conventions, celles-ci le rendant acerbe, il aurait aimé pénétrer les lieux sans que les règles de la bienséance ne se posent comme une entrave à sa course. Quelques secondes s’écoulent et l’envie de foutre en l’air ces histoires de bienséance, il s’agite et piétine. Il savait que Milo n’était pas un adepte de ces extravagances, et celui-ci n’appréciait guère lorsque son intimité était bravée. Il est sur le point de saisir la poignée quand la porte s’ouvre enfin, laissant apparaître la mine déconfite de son congénère, le cul entre deux roues. Jörg considère la condition de son hôte. Il n’est pas surpris, ni même désarçonné. Il lève un sourcil :
« - J’imagine que nous nous passerons des courbettes, lâche-t-il en brisant ce silence éternel. »
Il pousse la porte de la bâtisse sans prendre garde à la volonté de son interlocuteur, et se glisse entre les murs de son appartement avant de s’effondrer sur le premier fauteuil venu.
« - Quelle vue tu as par ici, ajoute-t-il, l’index pointé vers l’immense baie vitrée. »
gare à la crise de la quarantaine
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Re: Les coeurs fiers, les coeurs frères - Milo De Villiers
Mar 27 Aoû 2019 - 23:54
JÖRG & MILO
LES CŒURS FIERS, LES CŒURS FRÈRES.
Assis dans son éternel fauteuil, Milo ne comptait même plus les heures. Chaque seconde le lacérait et lui paraissait interminable quoi qu'il fasse pour chercher à les faire passer plus vite, alors à quoi bon... Il ne pouvait que subir l'engrenage tortueux de la pendule qui comptait le temps et martelait ses oreilles de ses tic tac incessants. Il se débarrasserait bien de cette putain de montre géante qui l'assourdissait parfois à l'en rendre fou à force de lui murmurer les sons de sa trotteuse mais elle était beaucoup trop haute pour lui désormais... Il avait bien tenté à maintes reprises dans des excès de colère et de rage de la fracasser à coup d'objets volants mais la cruelle semblait comploter contre lui car elle était tenace ! Le verre avait beau être brisé, sa rondeur autrefois parfaite cabossée, jamais elle ne chutait ou n'acceptait de se taire ! Elle semblait vouloir le forcer à être témoin de sa déchéance contre laquelle il ne pouvait plus rien à chaque seconde qui défilait et se rappelait à lui...
Depuis deux ans l'ancien garde du corps autrefois plein de fougue et de vie était cloué le cul entre ces deux fichues roues et depuis deux ans il ne vivait plus et n'existait plus. Il n'était plus le même. Il n'était plus rien à ses propres yeux. Il ne se supportait pas ainsi diminué et si il n'avait pas son chien à ses côtés et à s'occuper, voilà sans doute des mois que déjà il aurait mit fin à tout ça... Il n'était pas lâche. Il n'était pas hypocrite. Il n'estimait pas que tout paraplégique devrait raisonner comme lui et être suicidaire au point de mettre un terme à ce calvaire. Mais tout ça, ce n'était juste... pas lui... Il n'y arrivait pas. Il ne voulait pas l'endurer et encore moins l'accepter ! Comment le pourrait-il, ça lui était impossible ! Pas après la vie qu'il avait vécu ! Encore moins avec la vie qu'il avait prévu ! Milo était un accro des sports extrêmes courant après l'adrénaline à travers tout le globe ! Un homme qui croquait la vie avec une insolence contagieuse ! Il était un véritable shoot de vie pour quiconque croisait sa route... Il voulait voyager ! Explorer ! Tester ! Il voulait courir, nager, grimper, sauter bordel de merde : VIVRE ! Exister comme la fois où perché au milieu du Grand Canyon au levé du soleil un aigle l'avait frôlé de ses ailes alors qu'il descendait en piqué chasser ! Une des expériences les plus incroyables de son existence après avoir nagé avec des baleines. Tout ça lui était interdit désormais ! Et tout ça à cause de quoi ? De cette incapable d'infirmière qui avait commis une erreur médicale lors de son opération ?! Cette femme lui avait volé sa vie ! ! Elle lui avait volé jusqu'à son identité même et il ne se passait pas un jour, un souffle de lui sans qu'il ne pensa à elle et à combien il la méprisait ! Elle avait été virée et lui avait touché une grosse somme d'argent en dédommagement - comme si un chèque était forcément la solution à tout - mais qu'est-ce que ça changeait pour lui ? Qu'est-ce qu'il en avait à foutre qu'elle aie été licenciée ?! Elle avait toujours ses jambes ELLE ! Quant au fait d'avoir grossis son compte en banque ça ne lui changeait pas grand chose ! Il avait toujours été très à l'aise financièrement et ce n'était clairement pas ça qui lui rendrait sa mobilité ou achèterait son bonheur. Il était mort avec lui ce jour là...
Car c'était ainsi que Milo se percevait aujourd'hui... Mort ou du moins tout juste vivant. Il bougeait et respirait oui mais quoi d'autre et à quoi bon surtout...? Il n'avait plus goût à rien et ne s'intéressait à plus rien ni personne... Il n'était plus qu'une ombre. Qu'une pale réflexion de son ancienne personnalité. Qu'une coquille vide. Quoique non... Il n'était pas vide. Il était au contraire empli au delà du supportable ; empli de rage, de haine, de douleur, de frustration, de sentiment d'injustice... Il était un triste mélange de toutes les émotions les plus déchirantes et c'était ainsi qu'il était sous les apparences : brisé de l'intérieur. Il avait beau toujours arborer une mine impassible et un regard dur, au fond de lui derrière le masque de fer le velours était déchiré et usé. Il saignait et le seul qu'il laissait panser ses plaies était Grimm, son compagnon à 4 pattes.
Distraitement, son regard aussi sombre que son humeur perdu dans le vague, Milo faisait rebondir à répétition la balle de son chien contre le sol et la rattrapait, se laissant bercer par ce "poke" régulier que Grimm suivait attentivement de son regard vif, attendant que son maître ne se décida à lancer... Lui contemplait la piscine miroir de l'autre côté de sa baie vitrée. Il lui suffirait de l'ouvrir, de se laisser rouler et tomber à l'eau... Ou de se hisser sur la rambarde bordant la terrasse du penthouse et se laisser basculer dans le vide. Il avait peut-être perdu l'usage de ses jambes mais il avait toujours de la force dans ses bras... Il arriverait sans soucis à s'y porter... Puis... au moins durant ses dernières secondes d'existence il goûterait une ultime fois à l'adrénaline... Ou encore il pourrait...
~ Wouf ! ~
Milo sursauta et quitta la noirceur de ses pensées pour revenir à la réalité qui n'était pas vraiment plus colorée... Le souffle un peu court, comme chaque fois qu'il se laissait séduire par la mort qui ne cessait de flirter avec lui afin de l'attirer entre ses bras, il regarda son chien qui poussait sa main de son museau afin qu'il l'envoya chercher son jouer. L'homme toussota et s'exécuta, Grimm filant vitesse grand V en dérapant sur le luxueux parquet à la poursuite de sa balle de tennis préférée. Milo répéta l'opération une demi-dizaine de fois avant que l'on ne cogne à sa porte, lui faisant tourner vers elle une œillade mauvaise. A l'évidence il n'attendait personne ! Il y avait soigneusement veillé au court de ces deux dernières années. N'étaient plus tolérés chez lui que son coach de sport et le livreur de pizza ! Pourvu que ça ne soit pas cette folle furieuse d'aide à domicile que sa mère avait cru bon d'engager pour lui ! La journée qu'il avait passé avec elle lui avait amplement suffit et il espérait avoir été assez odieux lui-même pour ne pas voir cette harpie revenir de si tôt !
Avec un soupire, Milo roula jusqu'à la porte, qu'il ouvrit. Il s'apprêtait à lancer une phrase acerbe à quiconque ayant trouvé judicieux de venir l'emmerder un week end - à vrai dire ça l'aurait tout autant fait chier en semaine, mais c'était pour le principe - mais resta bouche bée face à la silhouette qui se dessina sous ses yeux. Jörg... Un vieux compagnon de route. Un type qu'il avait rencontré lors d'une de ses missions de protection assez délicates qui avait nécessité le concours des Services dont Jörg faisait partie. Ils s'étaient découverts des atomes crochus et étaient devenus amis malgré la singularité du personnage qui n'avait pas été pour déplaire à Milo. Et pourtant malgré l'amitié sincère qui s'était installée entre eux, le monégasque avait coupé tout contact avec lui suite à son accident... Jörg n'avait pas été insistant face au silence de son ami et contrairement à certains - qui avaient par la suite abandonné sans doute lassés de se faire envoyer bouler sans le moindre ménagement -, il n'avait pas cherché à forcer le dialogue ou à s'imposer chez lui, du moins jusqu'à aujourd'hui donc le revoir ici et maintenant le surprenait d'autant plus.
Se passa alors la chose qu'il détestait et à laquelle il ne se faisait jamais, le fait qu'on doive baisser les yeux pour le regarder... Aussi embarrassé qu'en colère, Milo se crispa dans son fauteuil et se sentit exactement tel qu'il avait horreur de se sentir ; moins que rien et pitoyable... Pourtant Jörg ne s'attarda pas dans sa contemplation quand bien même il découvrait l'état de son ancien collègue, pas plus qu'il ne se mit à le fustiger ou à lui poser mille question. Egal à lui-même, il le considéra avec son apathie légendaire puis poussa la porte afin d'entrer sans demander son reste :
- J'imagine que nous nous passerons des courbettes, dit-il avant de se laisser choir dans un des fauteuils dont Milo n'avait plus usage... Quelle vue tu as par ici. - Mouais...
Il le croyait sur parole, Milo ne prenait jamais le temps de sortir l'admirer...
Le visage fermé, il claqua sa porte et rejoignit Jörg qui avait déjà à ses pieds le chien qui le reniflait et cherchait à attirer son attention après avoir posé son jouet contre sa main.
- Grimm ça suffit viens là.
L'animal s'exécuta et se pressa instantanément auprès de son maître qui glissa ses doigts dans ses poils. Milo était tendu et caresser son chien était une façon pour lui de masquer son malaise. Il dévisageait Jörg sans mot dire, toujours aussi surpris par sa visite après tant de temps sans le moindre contact...
- Vas-y demande, finit-il par lâcher. Je suis sûr que t'en meurs d'envie !
La nature humaine était cruelle et morbide par défaut. L'Homme aimait se sentir supérieur par rapport à un confrère... Il aimait juger et Milo le savait ! Il sentait les regards sur lui chaque fois qu'il quittait sa maison ! Il y avait de la pitié, de la curiosité, des doigts pointés... Alors fort de ces certitudes qui s'étaient faites quasiment son quotidien, l'ancien garde du corps était quelque peu mordant car mais après tout la meilleure défense était l'attaque et il se sentait acculé autant qu'en position de faiblesse face à son ami... Il était pris de court par ces retrouvailles inattendues et en retrouvait son côté bourru ce qui le faisait être assez dur voir même injuste dans ses propos.
- Qu'est-ce que t'es venu faire Jörg... soupira-t-il avec le sentiment d'être une bête de foire qu'on était venu admirer...
Le handicape l'avait rendu aigri et rancunier envers et contre tout. Car au fond de lui Milo connaissait Jörg. Sa nouvelle condition le lui faisait juste oublier un instant... Il n'était pas comme les autres et c'était aussi ce qui lui avait plu lorsqu'ils s'étaient rencontrés tous deux il y a de cela plusieurs années. A l'époque si Milo avait du résumer son acolyte en un mot il aurait choisi : indifférent. Littéralement parlant ! Ce mec faisait preuve d'une désinvolture et d'un scepticisme à toute épreuve qui en avaient dérouté plus d'un parmi ses collègues, mais pas lui. Ce que d'autres avaient confondu avec du mépris ou de la fierté mal dosée, le garde du corps y avait capté une sorte de génie assez fascinant. Il avait vu au delà de la simplicité des déductions générales. Milo également était doué au delà de l'entendement dans ce qu'il faisait malgré son caractère que certains considéraient d'un peu trop "foufou" pour son métier et était un fin observateur et juge de la nature des gens. Il avait par conséquent assez vite compris la façon d'être de Jörg ce qui lui avait permis de se faufiler dans sa carapace derrière laquelle il avait trouvé un personnage rare. A eux deux, deux têtes brûlées et butées qui peinaient à suivre les ordres de leurs supérieurs, ils avaient fini par enfreindre certaines règles ensemble. Car leur instinct complémentaire l'un de l'autre était au delà de tout. Ils avaient formé un sacré duo de choc et avait tué l'affaire sur laquelle ils avaient travaillé ensemble. Ils s'étaient fait remonter les bretelles par principe bien sûr, mais personne n'avait pu trouver quoique ce soit à redire quant au résultat ! Ils étaient resté en contact suite à ça mais depuis deux ans, Milo avait fait silence radio...
Aujourd'hui il était curieux de savoir ce qui avait décidé Jörg à refaire surface, même si c'était lui-même qui l'avait éloigné volontairement. Il ignorait bien sûr que lui aussi avait eu un changement de vie assez drastique et avait été congédié suite à sa nature de sociopathe décelée et que depuis, il sombrait lui-même. Milo dardait sur son ami un regard à la fois méfiant et défiant. Car même si il ne l'avait pas vu depuis longtemps, il avait connu et retenu l'étincelle dans les yeux de Jörg pour le mauvais lors de leur collaboration. Autrefois Milo était la vie, aujourd'hui il est la mort. Sans doute une image assez laide de ce qu'il avait été pour arriver à capter un peu trop l'attention de l'homme sur lui...
Les coeurs fiers, les coeurs frères - Milo De Villiers