slap my phone home (alexandra)

Ça sonne. Dans le vide, encore une fois. Personne ne décroche. Alexandra pousse un soupir en jetant un regard à son écran comme elle met un terme à la communication dès qu'elle entend le répondeur de son frère se mettre en route. Alors que sa journée de boulot touche à sa fin, c'est déjà la quatrième fois que la jeune femme essaye de le joindre, sans que son aîné ne réponde. Alors elle glisse son appareil dans son sac à main rapidement, avec l'idée de se rendre directement au chantier sur lequel son frère travaille en ce moment. Elle termine de retirer les bijoux qu'elle portait pour le shooting, afin de les rendre à qui de droit, s'inspecte un instant dans le miroir et attrape finalement veste et sac à main pour quitter les lieux et rejoindre rapidement son véhicule, sur le siège passager duquel la jeune femme jette rapidement son sac à main avant de s'engager, prudemment, dans la circulation Hambourgeoise bondée à l'heure de la sortie des bureaux de la majorité de la populace. Il lui faut ainsi plusieurs minutes pour parvenir à atteindre Hamburg-Nord où son frère travaille ces derniers temps et elle tourne une bonne dizaine de minutes dans les alentours avant de trouver à se garer à deux pas, comme la place se libère. Coupant le contact, elle a la bonne idée d'attraper une paire de chaussures plates derrière son siège, pour retirer ses escarpins qui pourraient lui porter préjudice.

Enfin, la porte du véhicule claque et elle passe son sac à main par dessus son épaule avant d'appuyer pour verrouiller ses portières et rejoindre rapidement le chantier qu'elle traverse, à la recherche de son frère tout en ignorant les quelques regards des ouvriers qui se portent sur elle alors que vêtue d'une combinaison noire avec quelques dentelles la quadragénaire détonne un peu dans le paysage. D'autant que son visage n'est pas inconnu. Tant de par son lien de parenté avec le boss, que parce qu'on la voit partout en ce moment dans une publicité pour parfum. Que certains de ces types ont probablement déjà regardés des photos d'elle en maillot de bain, même s'ils ne l'avoueront jamais devant Benedikt.

C'est la fin de journée, car il semble que tout ce petit monde range le matériel, prête à rentrer chez soit. Alors la jeune femme espère que son frère sera sur les lieux encore, sinon il ne lui restera qu'à rejoindre la demeure de ce dernier pour espérer le voir. S'il s'y trouve bien et n'est pas sorti voir ses enfants ou avec des amis. Mais non. Sa silhouette, de dos, attire bientôt le regard du mannequin qui presse l'allure.

«- Benedikt Dietrich !» lance-t-elle, le ton légèrement autoritaire, réprobateur. «Je suis venu te dire que je te fais la gueule !» annonce la demoiselle. Preuve qu'elle sera toujours la cadette et une éternelle jeune dans sa tête. «Me laisser quatre fois tomber sur ton répondeur ! Comment as-tu osé ?»

Elle va sur ses quarante ans, Alexandra. Mais peu importe, elle reste bien jeune dans sa tête, quand elle fait savoir à son frère qu'elle n'est pas contente et qu'elle le boude. Oui, elle est venue jusqu'ici pour lui dire ça, s'il ne veut pas décrocher, s'il a décidé de ne pas lui parler. Alexandra ne se prend pas la tête avec la vie, jamais. Elle veut rester jeune, en même temps qu'inéluctablement, la ménopause et les cheveux blancs s'avancent dans sa direction. La jeunesse, c'est dans la tête, ce n'est pas une question d'âge ni de temps. C'est ce qu'elle croit, Alexandra. Alors elle vie, elle vit comme elle l'entend, non sans une certaine impulsivité. Elle dit les choses comme elles sont, comme elles viennent, ni plus ni moins. Ça plaît ou ça ne plaît pas, mais c'est comme ça. Tout simplement. Et dans la fratrie, on l'aime telle qu'elle est. Ils sont unies les Dietrich. Bien plus encore depuis le décès de Vince. Parce que ça les a remué. Surpris. Détruits. Alors ils ont été là les uns pour les autres, plus encore que d'habitude. Pour aider la vie à reprendre son cours. Même si ce n'est qu'en apparence. Même si c'est chimérique. Parce que son frère ne va pas bien, quand la nuit tombe. Parce que cette mort a provoqué un divorce. Un abus de boisson, que la demoiselle ne suspecte pas, jamais, quand son frère la prend dans ses bras en s'excusant et embrasse le sommet de son crâne.

«- Je crois que tu le ferais vraiment et je crois surtout que tu l'as fait, goujat !» annonce la demoiselle en réponse aux interrogations de son frère.

Il se défend, lui. Assurant avoir simplement oublié son téléphone à la maison ce matin avant de se dire désolé et demander un moyen de se faire pardonner. Elle a bien une idée en tête, la demoiselle, sans savoir qu'elle plonge tête la première dans les démons de son frère, qu'il prend soin de cacher devant eux néanmoins. Ces démons qui ne s'expriment que dans la solitude la plus profonde, la plus totale, la plus compacte.

«- Si tu as une bonne bouteille de vin et la soirée devant toi pour un dîner, alors il se pourrait qu'éventuellement, je consente à te pardonner. Surtout si la soirée comporte un film et des pop corn.»

Puisqu'il n'a pas répondu à son téléphone, la belle le condamne à la supporter toute la soirée, voilà sa punition. Une punition qui pourtant est profitable, bénéfique, alors que cette sanction obligé son frère à ne pas être seul ce soir. A ne pas déprimer, de fait. Ne pas penser à son fils en se posant milles questions et refaisant le monde, dans une réalité alternative où Vince aurait put être sauvé. La sanction inclus de ne pas vider une bouteille à lui tout seul, dans le plus grand des secrets. Alors elle le puni Alexandra. Mais elle ignore qu'elle le sauve surtout de ses propres démons.