first day of work (Ida)

Charlotte avait passé une grande partie de sa journée corriger son futur roman. Ce dernier traitait d’un voyage à Hambourg de son héroïne principale, une toute jeune fille qui voyageait avec ses parents. Destiné aux enfants, ce dernier était bien évidemment illustré en fonction. Au fil du temps, la rouquine avait gagné en notoriété et elle vivait plutôt bien de son travail. En tous cas, c’était le cas lorsqu’elle était en France. C’était un peu plus compliqué de faire sa place en Allemagne. Elle avait décroché un contrat d’illustratrice avec une de ses auteures favorites, qui était déjà bien connue ici. Elle travaillait donc sur deux projets en parallèle et, s’écartant actuellement peu de sa routine, elle se sentait parfois très seule. Non pas qu’elle soit absolument sociable : Charlotte était une introvertie, qui aimait sa tranquillité. Mais elle devait avouer que voir des gens de temps en temps lui manquait. Oh, bien sûr, elle voyait d’autres personnes au café, ou elle en croisait dehors… mais, hormis son ex-compagne, et Astrid avec qui elle travaillait, elle ne fréquentait personne.
Aussi, une idée lui était venue en tête : pourquoi ne pas faire profiter quelqu’un du savoir qu’elle possédait ? Elle pouvait enseigner ses techniques d’illustrations à quelqu’un désirant de se lancer dans le métier, voire même aider cette personne à trouver des portes dans l’édition : elle en connaissait, puisqu’elle travaillait dans ce milieu depuis quinze ans. Elle avait donc passé plusieurs annonces sur des sites spécifiques, expliquant qu’elle recherchait un ou une stagiaire. Elle avait eu pas mal de réponses, fait pas mal de rencontres. Certains profils lui avaient vraiment plu mais l’un d’entre eux s’était détaché : celui d’une lycéenne, Ida Engenwald. En effet, cette dernière était non seulement une passionnée, avec elle le feeling avait immédiatement été présent, mais en plus, elle possédait clairement des capacités qui allaient également aider Charlotte.

Ida étudiait dans le domaine de la technologie numérique et savait manier des logiciels dans lesquels Charlotte était complètement novice. La jeune femme était restée classique, avec ses crayons et ses pinceaux. Or, le marché du dessin digital était de plus en plus ouvert et elle avait très envie de s’y intégrer. Trouver Ida avait été une petite bénédiction : toutes les deux allaient pouvoir mutuellement s’apporter de quoi évoluer.

Les horaires de cours de Ida touchaient à sa fin et Charlotte se préparait à l’accueillir. Elle avait rangé ses écrits, mais laissé ses dessins en cours sur son grand bureau, près de son ordinateur. La pièce n’était ni trop rangée, ni pas assez. En fait, elle était typique d’une artiste : des bouquins un peu partout, dans sur les nombreuses étagères que sur le bureau. Certains étaient empilés sur le sol, près de là où elle dessinait. Il y en avait en Français, bien sûr, mais également en Anglais et en Allemand. Les murs, peints en blancs, étaient décorés de diverses photographies, toutes encadrées : Charlotte et sa famille pour la plupart, mais également quelques clichés d’elle et de son ex-compagne, qui était toujours une de ses meilleures amies. Le reste de son appartement était mieux rangé. Il était simple, mais à son image également : le salon était la première pièce dans laquelle on arrivait. Meubles modernes couleur bois, canapé d’angle noir, étagères remplies de livres… un des murs du salon était entièrement décoré à l’aide d’un patchwork de cartes postales : Charlotte les collectionnait. Nombreuses étaient celles de France, mais également d’Allemagne, ainsi que d’Amérique, d’où venait son père et où ses parents se rendaient régulièrement. Le salon donnait sur une cuisine ouverte, où un bar artisanal faisait office de séparation. Le reste de l’appartement n’était pas visible, puisqu’accessible par des portes qui étaient fermées, mais cela suffisait à montrer que même si Charlotte ne roulait pas sur l’or, elle ne manquait de rien.

En attendant Ida, la rouquine avait préparé du café. Déjà, parce qu’elle ne travaillait jamais sans en boire. Et puis parce qu’elle s’était dit que sa jeune stagiaire pourrait en vouloir, elle aussi. L’odeur du café emplissait donc le salon et la cuisine. Charlotte s’occupait dans cette dernière, essuyant ses innombrables mugs qu’elle avait nettoyé dans la matinée.

"À demain les filles." lance Ida, avant de récupérer sac et téléphone. "Tu viens pas avec nous, donc ?" demande Saskia, un brin accusateur, bien qu'elle connaît déjà la réponse. Un sourire fend les lèvres de la blonde tandis qu'elle se retourne vers ses meilleures amies une fraction de seconde. De ses yeux azurs elle les salue sans plus de mots et, tout en se détournant, elle franchit le portail du lycée, le pas pressé. Non, Ida ne vient pas boire un verre avec ses BBF. Elle a mieux à faire. C'est l'esprit tranquille qu'elle se met en direction de sa destination. Son pas est certes empressé, on peut même sentir l'impatience de l'adolescence, mais quand on la regarde, on ne voit qu'une jeune femme heureuse et guillerette allant au-devant de son futur. 

Un mois plus tôt, elle surfait sur des sites d'orientation et, par hasard, est tombée sur une annonce d'une illustratrice de livres jeunesse en recherche d'un ou d'une stagiaire. Bien qu'elle soit encore lycéenne, Ida se prédestine au monde fabuleux du livre et de l'édition. Son rêve : ouvrir sa propre maison d'édition et publier des romans qui deviendront des best-sellers. Si elle met la charrue avant les bœufs? Peut être bien, mais qui n'a pas de rêve n'avance pas. Et Ida, avance. Lentement mais sûrement. Aussi,  après avoir posé les pour et les contre, elle envoya un courrier à cette Charlotte Barton et lui fit part de son envie de collaborer avec elle. Évidemment, elle lui expliqua qu'elle n'était encore que lycéenne et qu'elle ne pouvait réellement pas être en stage sur cette période mais que, souhaitant arpenter la voix des éditeurs, elle serait enchantée de découvrir cette voix par le biais d'une illustratrice renommée en France et en contrepartie, elle avait les capacités de lui montrer des techniques en PAO. Oui, Ida est une bonne élève. Même si Ida est une bonne élève qui se documente et se prépare en amont, elle était tout de même convaincue qu'elle ne décrocherait jamais un entretien. Elle n'avait ni l'âge requis, ni le statut de stagiaire dont la jeune femme recherchait. Mais alors que les jours passaient, désespérant la jeune femme, elle reçut un appel de cette illustratrice, la conviant à un entretien. Ce dernier se passa si bien, quelles concluent le stage. 
Ce soir est le premier jour de son stage. Et Ida en est d'avance ravie. Elle relut soigneusement l'adresse que Charlotte lui avait donné avant de la taper dans son smartphone. Même si ça fait un moment qu'elle habite Hambourg, certaines rues lui sont encore inconnues. En une petite demie-heure, elle arrive devant un bâtiment. Ida y pénètre grâce à un résident qui en sort. Quelle veine ! Des yeux, elle cherche le numéro tant convoité et, en quelques minutes à peine, se retrouve devant une porte où le nom de sa tutrice y est marqué. Visiblement, elle est au bon endroit ! Après s'être recoiffée et ajusté ses habits, Ida sonne. Patiente, elle attend qu'on lui ouvre. Charlotte Barton, une jeune femme brune aux yeux verts lui ouvre avec entrain. Un torchon à la main, Ida réalise qu'elle est peut-être en avance sur l'heure de leur rendez-vous...

« Bonjour madame Barton. » Claironne la blondinette, avant de baisser son regard sur le torchon que tient Charlotte et de rencontrer à nouveau le regard de la femme. « Je suis en avance ? » demande la blondinette, anxieuse à l'idée de déranger sa tutrice.

La femme s'efface pour laisser entrer l'adolescente. L'appartement est clair, bien qu'encombré. Ci et là, des livres et encore des livres. Des étoiles pleins les yeux, Ida se reprend de se jeter sur les étagères maculées. Même le sol en est jonché ! L'adolescente peine à cacher son envie – elle est au paradis du lecteur ici ! Puis son regard est capté par un mur constellé de cartes postales. Curieuse, la jeune femme s'en approche avant de se retourner : « Vous avez visité tous ces endroits ? » et soupire un : « Le rêve... » quelque peu envieux. Mais Ida n'est pas ici pour ça. Alors elle s'en détourne et se retrouve face à une cuisine ouverte où elle aperçoit les mugs dont Charlotte devait essuyer avant qu'elle ne sonne à la porte. De cet endroit, une odeur de café s'en dégage. Bien que la blonde n'aime pas particulièrement cette boisson, elle s'en sert régulièrement quand le besoin se fait sentir : contrôle, devoir sur le tard... Quand c'est trop charrette, un petit kawa permet de puiser dans ses dernières ressources pour terminer à bien le projet, aussi fastidieux soit-il.