Finally, I found you (Henry & Rosa)

Garée au bas de l’immeuble, ses doigts tapant frénétiquement contre le volant est le signe de son état actuel. Elle tente de calmer sa tension en prenant de longue respiration…en vain. En vain parce que la seule chose qu’elle a envie de faire à cet instant c’est de se précipiter dans cet appartement, quitte à enfoncer la porte s’il ne veut pas lui ouvrir et de lui balancer en pleine figure tout ce qu’elle a à lui dire. Dix ans. Dix années sans la moindre nouvelle, pas un message, ni même un appel. L’idée de le revoir l’avait même empêché de dormir la veille. Mais il était hors de question de faire demi-tour. Pas si près.

Elle sait qu’à l’instant où elle va le voir, tout va resurgir, les souvenirs de leur adolescence, les fous rires, les instants passés ensemble. Avant que tout ne se complique. Elle avait essayé pourtant de l’aider à aller mieux, de le sauver de lui-même. C’était aujourd’hui un échec pour elle. Mais elle n’était pas encore décidée à le laisser totalement sombrer, qu’elle amie elle serait sinon. Persuadée qu’il a encore besoin d’elle. Qu’il veut de son aide même dix après alors. Au fond, elle avait du mal à s’imaginer comment elle aurait réagi à sa place si son père avait été assassiné, puis que sa mère se donne la mort. Pas bien du tout.

Un dernier coup d’œil à son téléphone pour vérifier qu’elle soit bien à la bonne adresse, une longue inspiration et Rosa se décide enfin à sortir de sa voiture. Elle grimpe les escaliers pour arriver devant sa porte. Henry Rosenthal inscrit dessus lui indique qu’elle est au bon endroit. Prenant son courage à deux mains, elle appuie sur la sonnette. Là, maintenant, elle ne sait même plus la réaction qu’elle doit avoir. Son cœur bat la chamade quand elle entend des pas derrière la porte après ce qui lui a semblé être une éternité. La porte s’ouvre enfin et ils y sont, les retrouvailles. Enfin disons plutôt les retrouvailles qu’elle voulait. « Henry ». Lâche-t-elle simplement. Sans sourire. Air de défi sur le visage si jamais il venait à l’envoyer dans les roses. L’air de défi qu’elle prend quand elle est contrariée et qui la fait paraître bien plus jeune. Elle ne sait pas quoi dire d’autres. Comment vas-tu semble trop étrange après dix ans sans se voir. Elle est là et ne compte pas bouger de sitôt.

La journée démarre comme toutes les précédentes, lentement, difficilement. Et comme toutes les précédentes, elle sera en dent-de-scie. Comme chaque heure, chaque minute, chaque seconde de sa vie, depuis sa sortie du centre, Henry luttera pour ne pas se rendre chez le premier dealer du quartier. Comme chaque jour, il combattra son irrépressible dépendance. Et comme chaque jour, il continuera à foutre en l'air deux ans d'efforts en se remplissant les poumons de nicotine, à coup de clopes. Ce jour-là donc, l'héritier Rosenthal se vautre tout simplement sur son canapé, une cigarette calée derrière l'oreille, les pieds sur la table basse. À la télévision, un téléfilm à la con qu'il ne regarde même pas. Il n'est pas assez tard pour sortie. Pas assez tôt pour dormir. C'est l'heure morte. L'heure inutile. L'heure qui s'éternise.

Soudain, la sonnette retentit, le faisant presque sursauter. Il se demande un instant qui pourrait venir l'emmerder. Walter, probablement, encore en galère avec la voisine du dessus ? Ou Ben, ou Bettie, ou peut-être le fantôme de son père, lui aussi décidé à lui faire la morale et à lui pourrir la vie, sûrement. Il se relève en jurant et ajuste vaguement son sweat avant d'aller ouvrir la porte. Mais la brunette qui se trouve plantée là, face à lui, est sans doute la dernière personne qu'il attendait. Son cœur loupe pitoyablement un battement. "Rosa." Le prénom franchit la barrière de ses lèvres en réponse à l'écho de sa voix. Il l'a murmuré comme on murmure un secret, incertain. En l'espace de quelques secondes, c'est toute son enfance qui lui saute à la gorge, qui plante ses crocs acérés dans sa chair et qui le saigne à blanc. Des souvenirs, des images, des éclats de rire et des regards dérobés. Elle se tient là, bien droite devant lui. Et aucun des deux ne parle. Il ne sait pas quoi lui dire. Là, tout de suite, maintenant, il ne sait pas quoi lui dire. On ne comble pas dix ans de silence par un mot balancé au hasard. Il se sent tiraillé, partagé. Il n'a pas envie qu'elle entre, mais il ne peut pas lui fermer la porte au nez. Alors, Henry la dévisage, longuement. Il se plonge dans son regard, ses propres yeux plissés, suspicieux. Qu'attend-elle de lui, une explosion de joie ? Non, c'est trop difficile, trop douloureux. Il ne lui a pas donné signe de vie depuis tout ce temps, mais où était-elle, durant ces années ? Il se reprend rapidement, sa main fermement agrippée à la poignée de porte. "Qu'est-ce que tu fais là ?" Il est froid, distant. L'attaque et l'agressivité sont un moyen de se préserver.

Elle ne sait pas à quoi s’attendre quand la porte s’ouvre. Elle avait imaginé tellement de scenarii, le meilleur comme le pire, ce qu’elle pourrait ressentir aussi. Elle avait espéré le meilleur, en souvenir de leur sentiment d’adolescence, du passé. Il prononce son nom avec hésitation, clairement troublé. Elle l’est autant que lui. Elle s’attendait peut-être à plus, à un bonjour tout au moins. Pas seulement à ce qu’est-ce que tu fais là. Elle rit nerveusement, mais au fond Rosa a seulement envie de pleurer. Et c’est peut-être ce qu’elle devrait faire pleurer un bon coup, faire demi-tour et oublier cette rencontre, l’oublier lui et tous les souvenirs. Faire comme si leur amitié n’avait jamais existé et le rayer de sa mémoire. Mais elle ne bouge pas. Elle reste plantée là, le regard plongé dans le sien. Elle est bien incapable de partir. De le laisser encore une fois. Oui…elle espérait mieux que cette phrase et ça la blesse. Il ne lui fera pas ce coup-là du Henry Rosenthal distant et froid, de celui qui fait semblant de s’en foutre des autres, pas ce coup-là à elle, pas quand elle fait le premier pas. « Dix ans…Dix années sans nouvelle et c’est tout ce que t’as : un qu’est-ce que tu fais là ? » Sa voix qui monte d’un cran. Se mettre en colère n’est pas la meilleure des solutions, elle reste la plus simple à avoir face à tout ce qu’elle ressent. Je suis là pour toi abruti qu’elle a envie de lui jeter en plein tête. Pourquoi elle se tiendrait devant lui sinon ?

Ils peuvent jouer à celui qui sera le plus agressif, toute la journée s’il le veut. Elle a tout son temps et ne compte pas faire demi-tour temps qu’elle n’aura pas…Elle ne sait pas quoi exactement, des réponses peut-être. Au moins plus que ses paroles froides. Ils ne peuvent pas faire ça. Ça lui ferait trop mal de le perdre comme ça.

La télévision beugle en arrière-plan. Mais il ne l'entend que murmurer, à peine. Le temps s'est littéralement figé, alors que ses pupilles ne savent pas dans quel œil se fixer. Elle n'a pas changé, ou si peu. Elle a gardé cette bouille de gosse qu'elle arborait quand il parvenait à la vexer. Et il voit dans ses yeux qu'il la déçoit. Comment pourrait-il en être autrement ? Mais peut-elle réellement lui en vouloir pour cette réaction sans queue ni tête ? Un rire, nerveux lui échappe, il n'y réagit pas. Il reste stoïque, immobile, paralysé par la présence de ce fantôme du passé. Mais il affronte son regard, il le soutient. Oui, c'est tout ce qu'il a. Et Dieu sait s'il n'a plus grand-chose en réserve. Mais elle le connaît, sans doute mieux que n'importe qui, peut-être mieux que sa famille elle-même. Alors elle saura passer outre. Elle saura se contenir et l'affronter. Il amorce un mouvement, se décale pour ne plus lui barrer la route, mais, au contraire, l'inviter à franchir le pas de la porte. Il agit avec une extrême lenteur. Mais ce simple mouvement lui demande énormément d'efforts. Car en agissant ainsi, il l'invite à revenir dans son univers. Il l'autorise à entrer à nouveau dans sa vie.

Sans rien prononcer, il referme la porte derrière elle et la contourne en silence pour rejoindre le salon. Là, il se saisit de la télécommande et coupe la télévision. Il la garde en instant en main, le regard fixé sur l'écran devenu noir, avant de prononcer, en faisant volte-face. "Rosa, qu'est-ce que tu fais là ?" Provocation ? Incompréhension ? Peut-être un peu des deux. Aucune colère sur son visage indéchiffrable. "Pourquoi tu reviens, maintenant, après tout ce temps ? Qu'est-ce qui t'a décidé à refaire surface ? C'est mon frère qui t'a contactée ?" Son débit de paroles s'emballe, le ton se fait plus précipité, mais les derniers mots sont exagérément articulés, chargés de reproches. Qu'espère Ben en faisant ça ? Il lâche négligemment la télécommande sur le canapé. Oh bien sûr il est fautif, il en a conscience, mais il a du mal à le reconnaître. C'est tellement plus simple de se partager la faute. Il devrait lui demander ce qu'elle est devenue, comment elle va. Quoiqu'il sache déjà, vaguement, de loin. N'a-t-elle pas eu une belle carrière de patineuse, ou quelque chose comme ça ? Mais les mots gentils restent bloqués dans sa gorge et, au lieu de cela, il se plante face à elle, dans le salon, les bras croisés sur son torse, en attente.

Elle a tant à dire. Trop, qu’elle ne sait pas par où commencer. Il s’en passe des choses dans une vie en dix ans, il y a des moments de rires, de pleurs, on grandit et on va de l’avant. C’est ce qu’elle avait fait Rosa, elle avait travaillé dur. Et ses dix années l’avaient amené à une carrière au-delà de ses espérances. Mais elle n’oubliait pas ses anciens amis. Surtout pas Henry. Alors, innocemment peut-être elle avait imaginé que tout finirait par rentrer dans l’ordre, finalement cela semble plus compliqué que prévu. C’est toute leur relation qui est à reconstruire. Et peut-être même que ça ne mène à rien tout ça, mais ça vaut la peine d’essayer. En souvenir de ce qu’ils étaient par le passé. Ils s’affrontent du regard, elle ne lâchera pas le sien. Petite victoire quand il finit par se décaler de la porte, signe silencieux qui lui dit qu’elle peut entrer dans son appartement. Il n’a pas oublié alors, qu’elle osera braver son agressivité, son instabilité. Qu’elle le fera différemment de son frère et de sa sœur.

Le silence est encore là alors qu’elle passe la porte. « Ton frère n’a rien eu besoin de me dire » Ce n’est pas un mensonge. Elle se tenait devant lui de son plein gré. Sa voix se veut calme et posée, léger tremblement qui parcourt ses lèvres. « Quand j’ai su que tu venais d’arriver en ville, je ne sais pas…j’ai pensé qu’il était temps de reprendre contact » Rosa choisit de ne pas aborder de suite ses problèmes, elle veut attendre qu’il lui parle lui-même de tout ce qui s’est passé dans sa vie pendant toutes ces années. Elle ne veut pas le brusquer, ça l’éloignera plus encore et finirait par tout gâcher. Elle regarde autour d’elle l’endroit dans lequel il vit, avant de lui faire face. « Mais…je partirai si c’est vraiment ce que tu veux. » Elle lui laisse le choix. Ça lui fait mal de prononcer ces mots. Son regard lui, lui demande de la laisser l’aider, ce qu’elle n’a pas besoin de dire à haute voix, il le sait qu’elle est là pour lui et pour s’engouffrer de nouveau dans sa vie. Son cœur bat la chamade dans sa poitrine qu’il doit l’entendre de là où il se trouve. Ne me repousse pas.