Les vapeurs alcoolisées |India|

La chaleur commençait à devenir assez peu gérable. Dans le cabinet, ils avaient l’air conditionné histoire de ne pas se retrouver avec des hot dog tout chauds ou des aquariums en ébullition. Quelquefois, Mattias voudrait bien être un des animaux dans les salles de rétablissement histoire de pouvoir bénéficier d’un service aussi impeccable. Malheureusement, sa maison n’avait pas l’air conditionné et il savait qu’il allait certainement rentrer dans une fournaise… En même temps, en habitant à Hamburg, en Allemagne, il n’aurait jamais cru qu’il devrait prendre de telles mesures. Après tout, s’il voulait du soleil et de la chaleur jusqu’à en crever, il aurait pu aller en Espagne… Tout le monde disait de ne pas se plaindre, mais c’était difficile quand son caleçon collait à cause de la transpiration. Il paraitrait même que mettre sa main dans son pantalon, ce n’est plus acceptable au-delà de cinq ans, quelle merde…

Au lieu de se faire insulter de pervers en se baladant tout nue, ou en décollant le tissus de sa raie des fesses, il décida donc de s’arrêter dans un bar qu’il connaissait bien pour se boire une bière fraiche. Après tout, il avait terminé son service et ne comptait pas prendre la voiture. Il entra dans l’établissement et s’installa directement au bar. Il ne comptait pas rester trop longtemps, juste assez pour profiter de la clim et se rafraichir. « Une blonde s’il vous plait ! » demanda-t-il en sortant son portefeuille pour payer. Une fois la pinte devant lui, il ne pu pas attendre plus longtemps avant d’en prendre une gorgée. Il laissa échapper un soupire de soulagement lorsqu’il sentit la colonne glacée descendre dans son œsophage.

Il sortit son téléphone pour envoyer un rapide SMS à sa voisine qui gardait ses chiens. Une petite dame à la retraite, une ancienne kiné qui vivait seule et qui était ravie d’avoir les trois chiens pour lui tenir compagnie pendant la journée. Ils avaient même un petit portique entre leurs deux jardins où ils faisaient transiter les molosses quand Mattias les déposait ou qu’il venait les chercher. Il avait le nez dans son téléphone, tout en sirotant sa bière, se laissant bercer légèrement par l’ambiance sonore du bar.

Mattias sent une présence soudainement à côté de lui. Il relève les yeux et voit India, la sœur de Walter. Il l’avait croisé quelques fois étant donné qu’il traînait souvent avec Walter. Elle était sympathique même si elle se révélait souvent un peu bizarre. Il avait du mal à la suivre mais elle ne semblait pas méchante. « Bonjour. » dit-il en souriant tout en prenant une gorgée de sa bière. Il savait que la jeune femme avait un fennec chez elle. Il ne savait pas si elle avait réussi à obtenir le permis spécial pour pouvoir garder un tel animal, mais il en doutait. Il fallait justifier d’une environnement adapté qui se comptait généralement en hectare et il fallait aussi prouver son expertise vétérinaire à travers des diplômes spécialisés dans l’animal désiré. Il doutait qu’India soit une spécialiste internationale des fennecs, il l’aurait vu passer aux conférences auxquels il assistait. De plus, avec une telle chaleur, laisser l’animal seul à la maison devait certainement garantir quelques gros dégâts dans les meubles et les armoires où l’animal ne manquerait pas de marquer son territoire agressivement et faire des trous pour cacher tout ce qu’il arriverait à attraper sur son passage…

« Ça va bien… Oui, il fait vraiment étouffant aujourd’hui… » dit-il en regardant la rue baignée de soleil à travers les vitres du bar. Les rues étaient moins remplies que d’habitude. Les gens devaient être entrain de se protéger des rayons d’une manière ou d’une autre. Paradoxalement, ils étaient tous contents de voir le beau temps arriver, mais très vite on se rendait compte d’une chose : si on pouvait rajouter des couches et allumer le chauffage pour contrer le froid, la chaleur, c’était une autre histoire. Malgré toutes les couches de vêtements que vous pouvez enlever et tous les ventilateurs que vous pouvez brancher, vous finirez toujours à moitié mort de chaud.

« Et toi ? Comment va Walter ? » il savait que l’homme était à présent chez sa sœur, à dormir sur le canapé. Il essayait de ne pas trop s’inquiéter pour le benjamin de leur groupe d’ami. Il avait toujours été plus ou moins irresponsable et d’habitude, Gaelle et Mattias étaient là pour récupérer ses erreurs bêtes, mais là, il ne pouvait pas faire grand-chose malheureusement.

« Ça va, j’ai connu mieux. Y a des bons et des mauvais jours dans mon boulot. J’ai été pas mal occupé ces derniers temps. Et toi ? » en effet, il n’avait pas vu Walter depuis quelques temps, et par incidence, n’avait pas croisé India. Entre Gaelle à l’hôpital, la garde de ses enfants et ses chiens, il commençait à voir son temps libre fondre en même temps que les habitants d’Hamburg sous cette chaleur.

Mattias sourit alors que India faisait référence à son frère. En effet, Walter avait beau être quelqu’un de très imprévisible, il était aussi fidèle à sa réputation, mais c’était ce qui faisait son charme finalement. Sa candeur et aussi son énergie était rafraichissante lorsque le vétérinaire se sentait vieux et diminué. Il fallait dire que son métier ne lui permettait pas de se ménager. Debout pendant des heures, accroupi pour examiner divers animaux, sur la route pour faire des conférences ou des développements professionnels… Il n’avait pas choisi le métier le plus tranquille du monde, mais au moins il aimait ce qu’il faisait.

« Ouai… Dormir de temps en temps… Quand mon lit n’est pas envahi par un char pei qui me bave dessus. » dit-il en souriant et en buvant une gorgée de sa bière. Grendel était encombrant, un peu bête et bavait beaucoup mais il était adorable comme tout. Il pouvait tout lui pardonner, même une flaque de bave dans ses chaussures le matin avant d’aller au travail.

« Tu as raison. Des fois j’ai du mal à voir le positif. C’est tellement facile de se focaliser sur ce qui manque ou ce qu’on a pas. Mais c’est vrai que c’est sympa cette météo. Au moins on peut sortir et apprécier la ville sans avoir à chercher un lieu où s’abriter immédiatement. » il vivait à Hamburg depuis pas mal de temps, et c’était vrai que souvent, il voyait la ville sous la pluie ou la neige. Mais ces dernières années, avec le réchauffement climatique, les hivers avaient été plus rudes encore et les étés avaient été plus extrêmes.

Puis, India mentionna Rubis, son fennec. Mattias savait qu’elle l’aimait beaucoup et que des fois, il était compliqué de faire les bons choix quand on aimait énormément un animal. Entant que vétérinaire il le savait mieux que quiconque. Des maîtres et maîtresses qui maintenaient leurs compagnons en vie alors qu’il aurait fallut les laisser mourir pour abréger leurs souffrances, il y en avait toutes les semaines à son cabinet. Elle mentionna la possibilité de l’envoyer au zoo éventuellement et Mattias hocha la tête.

« Ce n’est pas une mauvaise idée. Et puis, je suis sûre que le zoo te permettrait des visites privées avec Rubis. Ils récupèrent souvent des animaux trafiqués, mais avec une ancienne maîtresse bienveillante, ils pourraient certainement s’arranger pour que vous puissiez vous voir souvent. Je connais les vétérinaires du zoo et le directeur, je suis sûre que je pourrais arranger quelque chose. » dit-il en souriant. Laisser partir un animal n’était jamais facile. Après tout, on pensait toujours être la meilleure personne pour s’en occuper. Prendre la décision de possiblement s’en séparer pour le bien de l’animal était quand même franchement courageux et pas toutes les personnes confrontées à ce choix prenaient la décision la plus courageuse…

Elle lui demanda s’il avait des photos de son chien et comment il s’appelait. Mattias sourit et pouffa légèrement de rire. « Oh que oui… » dit-il en attrapant son téléphone. Il activa l’écran de veille qui était Grendel. Il faisait tourner chaque chien tous les mois. Les animaux s’en foutaient carrément mais le vétérinaire se sentait coupable s’il n’affichait pas ses bestioles à quatre pattes de manière égale sur son téléphone. C’était probablement stupide mais son amour pour ces petites bêtes ne connaissait pas de limite.

« Alors c’est Grendel. On arrive un peu à le voir sous tous les plis… J’en ai deux autres, Attila et Lady. Autant dire que c’est le festival chez moi. » quand on possédait des chiens, surtout plusieurs, on pouvait dire adieu à une maison propre et rangée en toutes circonstances. Que ce soit la bave, les poils, la boue, et les jouets partout, il valait mieux ne pas être trop maniaque sur les bords.

Quand ils mentionnèrent Rubis, Mattias pouvait clairement sentir que c’était un sujet délicat, et il vit rapidement une larme couler sur la joue d’India. « On fait ça quand tu veux, au rythme que tu veux, il faut pas que ça se passe mal sinon Rubis va te sentir stressée et ça va le stresser aussi. » lui dit-il avec un sourire réconfortant. Les animaux étaient souvent des éponges à émotion et ressentaient énormément les émotions de leurs maitres, sachant des fois prévenir ce qu’ils allaient ressentir.

Elle lui sortit sa carte professionnelle qu’il prit pour la mettre dans son portefeuille. « Pas de soucis. Si tu veux, je peux les appeler demain et leur demander s’ils auraient de la place pour un fennec. » il rangea son portefeuille dans sa poche et but une nouvelle gorgée de sa bière qui, elle, descendait doucement. « Walter il en dit quoi de tout ça ? Tu lui as dit ? » demanda-t-il. Un soutient d’un proche pourrait certainement calmer l’anxiété de la jeune femme après tout.

La jeune femme lui explique qu’elle n’en a pas parlé à Walter. Mattias hoche la tête. Pourtant, il ne comprend pas trop. Après tout, Walter était quelqu’un d’assez sensible et sympathique qui pourrait carrément comprendre et aider sa sœur. Il l’avait vu plusieurs fois avoir une attitude très protectrice envers les gens de son cercle. Mais après, ce n’était pas ses affaires, c’était leur famille à eux et il serait bien mal placé pour influencer une femme qu’il connaissait à peine. « Je vois… » dit-il avant de reprendre une gorgée de sa bière. Il espérait que les gens autour ne pensaient pas que c’était lui qui faisait pleurer India. De loin, peut être qu’on aurait dit une rupture ou quelque chose du genre. Il pria intérieurement pour qu’aucun homme dans le bar ne se prenne d’un élan de chevalerie et ne veuille le passer à tabac…

« Non non, je ne lui dirais rien. » dit Mattias. Il hocha la tête « C’est personnel, c’est le genre de truc qu’il faut décider pour soi, je comprends ! » il comprenait surtout que les familles n’étaient pas aussi harmonieuses qu’on pouvait le penser. Lui par exemple, avec son divorce et deux gamins qu’ils baladaient entre les différentes maisons des parents… Il n’était pas un cas à part, il était même plus ou moins la norme si on y réfléchissait bien.

« Et il se plait bien ? Il a des projets Walter ? Je sais que des fois, il est pas très doué pour organiser sa vie ou penser au futur… » dit-il en souriant, espérant pouvoir rendre l’ambiance un peu moins triste et étouffante. Walter était un grand enfant qui savait bien s’amuser, mais qui ne savait pas toujours quand s’arrêter. Mattias avait quelques fois été obligé de le stopper dans ses délires pour éviter de se retrouver dans une situation délicate ou en prison.