Lily * Vol retardé, humeurs agitées

Les lèvres pincées, elle ajuste son uniforme non sans une pointe d'irritation, prête à affronter une nouvelle journée de travail mouvementée. Si elle a passé la majeure partie de sa carrière à sourire et calmer les nerfs des passagers mécontents, il y a des jours où, même pour elle, c'est difficile. Où la patience atteint ses limites. Et aujourd'hui était un de ces jours, indéniablement. Il commençait déjà bien mal.

Informée dès son arrivée à l'aéroport que le vol long-courrier sur lequel elle est prévu aura plusieurs heures de retard, elle sait que la journée sera longue. Difficile. Déjà parce que, pendant plusieurs heures, elle sera présente à l'aéroport comme bénévole, les heures en dehors des vols n'étant pas payées. Ensuite parce que cette nouvelle sera sans aucun doute possible accueillie avec frustration et colère par les passagers.

Enfilant un sourire professionnel de circonstance, la brune se dirige finalement vers la porte d'embarquement, se préparant mentalement à l'orage qui l'attend. Les passagers y sont déjà nombreux agglutinés, certains impatients étant debout juste devant le guichet, d'autres restants avachis sur quelques sièges, le nez dans leurs téléphones ou les regards rivés sur les écrans, guettant l'heure d'ouverture de l'embarquement.

Elle jette un regard aux collègues au moment où le retard apparaît sur l'écran, comme pour se donner du courage, avant de le reporter sur la foule et conserver un sourire de façade. Bien entendu, comme elle s'y attendait, les réactions ne se font pas attendre. Des grognements retentissent, suivis de plaintes et de reproches. Comme si elle pouvait faire quelque chose contre la situation. Comme si elle avait le moindre contrôle sur la météo. Car c'est bien pour cette raison qu'ils sont cloués au sol. En raison d'un retard important dans le trafic aérien, du fait des intempéries, un orage violent s'abattant sur la ville.

"- Mesdames et messieurs s'il vous plaît, un peu de calme. Pour l'instant, nous n'avons pas plus d'informations. Dès que nous en saurons plus, ou que nous aurons une idée de l'heure d'embarquement, nous vous tiendrons informés..."

Pour quelle folle raison as-tu dû prendre ce vol ? Un vol de plus de quatre mille kilomètres, c'est très peu pour toi. Tu n'es pas une grande fan de l'avion puis tu sais ce que ça représente : au moins une semaine loin de chez toi. Tu sais que tu n'as pas le choix, mais comme tu values chaque moment passé avec Ulrich de peur que les tensions se raniment entre vous, tu sais que le temps va être long sans lui. Pour autant, business is business, et ton patron ne t'a pas vraiment laissé le choix.

Tu n'es pas préposée au marketing ni rien, mais tu accompagnes l'équipe puisque tu fais partie de l'équipe des concepteurs. En fait, c'est un peu presque toute l'équipe de réalisation et de publicité qui se déplace. Sauf que t'es pas sur le même vol que tout le monde. Certains sont déjà partis, certains partiront plus tard encore. Et, forcément, quand c'est ton tour de partir, l'orage vous guette et vous retarde.

Tu ne te prives pas de soupirer quand celle que tu estimes être une hôtesse de l'air s'adresse enfin à vous, devant la porte d'embarquement, pour vous tenir informés, alors même que tu n'as qu'une envie, déclarer forfait et retourner sous ta couette ou sous un plaid, lovée contre ton mari ou tes pieds contre ton chien, si jamais Ulrich devait travailler. Tu comprends qu'elle ne fasse que son travail, mais ça t'agace un peu cette histoire de retard. Tu prends quand même sur toi, inspires profondément et te diriges vers elle.

- Bonjour, que tu commences avec un sourire à son égard. Navrée de vous déranger, mais comment se fait-il que vous n'ayez pas plus d'informations ? Y a-t-il quelque chose de plus important qui se joue sur ce vol... ? Clairement, ce n'est pas la Lily raisonnée qui s'adresse à elle, mais plus celle qui n'a pas énormément pris l'avion dans sa vie et qui est presque aussi stressée que la première fois qu'elle a pris l'avion, quelques années plus tôt, pour le mariage de Maggie.

Aussi professionnelle que possible, elle continue de sourire aux voyageurs amassés au niveau de la porte d’embarquement, consciente du ras de marée qui ne va pas tarder à se déverser sur l’équipage d’une minute à l’autre, dès la fin de son spitch. Et ça ne rate pas. Elle aurait pu le parier. Il y a ceux qui râlent, ceux qui accusent vigoureusement la compagnie aérienne, ceux qui pensent qu’ils font mal leur travail. C’est d’autant plus agaçant que ces personnes n’y connaissent rien en aéronautique et s’imaginent que les stewart ont pour mission de servir des plateaux repas. Si c’est une de leurs missions, effectivement, ce n’est pourtant pas la première sur leur fiche de poste. Assurer la sécurité du vol et des passagers, tel est vraiment leur métier. D’autant plus rageant que, s’il y avait un problème, ce serait sur l’équipage et la compagnie que tout retomberait, aussi.

Elle pousse un soupir discret, faisant mine de chercher quelque chose derrière le pupitre, et se redresse en souriant à une blondinette qui s’est avancée et qui, poliment, demande quelques précisions supplémentaires sur les raisons du retard du vol. Au moins, elle est polie, souriante, ne criant pas sur l’équipage et garder un sourire professionnel devant elle est alors plus facile.

"- Croyez bien que je suis désolée madame mais pour le moment, nous n’en savons pas plus. Nous savons seulement que le retard est dû aux conditions météorologiques. Il se peut que la compagnie, les pilotes, ou les agents sur le tarmac aient estimé que les conditions n’étaient pas réunies pour le décollage. Notre vol n’est pas le seul impacté, pour le moment, aucun avion ne décolle de cet aéroport…" explique la brune avant de reprendre. "Dès que nous en saurons plus, nous vous le feront savoir, soyez-en sûre." affirme-t-elle, sans réaliser les réelles inquiétudes de la passagère, dans le contexte immédiat.

Ton angoisse commence sérieusement à monter et tu en reviendrais presque à regretter qu'aucun de tes collègues n'aient choisi de prendre le même vol que toi, à minima pour avoir une tête familière à côté de toi. Non, il n'y a pas de discussion, tu préférerais encore être chez toi, à rire de l'orage sans aucun risque d'en mourir, ça c'est certain. Parce que oui, la raison pour laquelle tu crains toujours l'avion, même si tu sais qu'il y a moins de chances que tu ne meures d'un accident d'avion que d'un accident de voiture et peut-être même que tu sois foudroyée par un éclair, elle est stupide : tu regardes beaucoup trop de films catastrophes sur les crash d'avion. En même temps, difficile de faire 2h de film sur un accident de voiture, n'est-ce pas ?

L'hôtesse de l'air face à toi - parce que t'as décidé de la décrire comme telle, que ce soit son travail ou non - s'efforce d'être calme et souriante et pourtant, tu sens déjà ton coeur battre si fort que tu es surprise de ne pas être en état de choc ou toute tremblante. Parce que tes pensées le sont, preuve que ton cerveau a du mal avec tout ça.

Tu inspires du mieux que tu peux, hochant la tête.

- Je vois. Et euh... p... pensez-v-vous qu'il y a aura de v-vols de remp-placement ? je veux dire sur un autre jour, où la m-météo sera plus enclines aux vols ? Tu te donnerais bien des claques mentales ; derrière ton bégaiement, on entend clairement la trouille qui te cisaille le ventre, alors même que tu pensais arriver à continuer à parler normalement, ce que tu as fait en t'adresser à elle en premier lieu.

La femme qui lui faisait face reprend la parole, semblant hésiter, trembler dans ses mots, préoccupée par le retard de l’avion comme par les raisons de ce dernier. Elle bégaie et semble paniquer. Dans le même temps, elle blanchit à vue d'œil, semblant prête à se liquéfier sur place. Ou fondre en larmes. Peut-être les deux en même temps, elle ne sait pas trop. Cependant il est évident que l’idée d’être dans l’avion sous l’orage ne la rassure pas vraiment. Peut-être même l’idée d’être dans l’avion elle-même, sans parler de l’orage. Peut-être que la simple idée d’être en vol la panique déjà, mais l’idée qu’il faille le faire dans des conditions météorologiques défavorables, évidemment, ça ne rassure pas.

"- Tout va très bien se passer, je vous l’assure… Nous ne décollerons pas tant que les conditions de sécurité ne seront pas réunies." affirme-t-elle, adressant à son interlocutrice un sourire qui se veut rassurant.

La peur de l’avion, elle la connaît. Pas qu’elle l’ait déjà ressentie un jour elle-même, ce n’est jamais arrivé. Mais en vingt ans de carrière dans les airs, elle y a suffisamment été confrontée par le biais des passagers comme de sa formation. C’était une des premières choses qu’elle avait appris, à l’époque. Gérer la peur des passagers. Leur permettre de se détendre et d’appréhender le vol de la meilleure des façons, de ne pas être trop stressé pendant le vol. Elle avait appris à rassurer, à faire valoir un argumentaire sécuritaire, pour faire réaliser le peu de risque réellement pris.

"- Vous savez, le risque d’accident mortel dans l’aviation est aujourd’hui de 0,03 pour un million de vol…" souffle la brune. "Vous avez plus de chances de décrocher le jackpot de l’euromillions que d’être confronté à un accident d’avion." poursuit elle. "C’est votre premier vol ?"