Maloria • Aujourd'hui je te refuse, qui sont-ils ceux qui m'accusent (TW IVG)

La décision n’avait pas été très longue à prendre, lorsque les deux barres s’étaient dessinées sur le test. Au contraire, cela était apparu comme une évidence, comme étant la seule chose raisonnable et raisonnée à faire, en l’état actuel des choses. Elle n’avait alors pas eu besoin d’annoncer la chose à qui que ce soit, pas eu besoin des conseils de ses proches. Dans le fond, tout ça ne regardait qu’elle. Elle et ses entrailles. Parce qu’elle se détruisait aux hormones depuis presque quinze ans, tout ça pour tout de même aujourd’hui attendre un enfant.

Si elle n’avait rien contre l’idée d’avoir un bébé un jour, elle ne se sentait pas prête, aujourd’hui, pour la maternité. Pas prête pour donner la vie. Ni maintenant, ni comme ça. Sans stabilité. Elle n’était pas toujours responsable pour elle-même, comment aurait-elle pu l’être pour un petit être dépendant à cent pourcent d’elle ? Quant au père, si les hommes peuplaient son paysage, il n’y en avait pas un avec qui elle entretienne aujourd’hui une relation propice pour l’éducation d’un enfant. Pas un pour lequel elle acceptait de prendre sur ses épaules toute cette charge mentale que l’on réservait aux mères. Et elle ne savait pas même lequel de ces messieurs fréquenté dernièrement pouvait bien être le père de cet enfant.

Prendre le chemin de l’hôpital pour son rendez-vous aujourd’hui n’avait pourtant pas été la chose la plus facile à faire de son existence, quand bien-même certains prétendaient que les femmes avaient recours à ce genre de procédés de manière décomplexé, comme s’il n’avait s’agit que d’avaler une pilule. Une contraception tardive. Connerie. Elle avait parfaitement conscience de ce qu’elle s’apprêtait à faire. Parfaitement conscience que les heures à venir n’auraient rien d’agréable, seraient loin d’être les plus simples de son existence. Ce n’était pas parce qu’elle refusait la maternité qu’elle n’éprouvait pas quelques regrets, qu’elle ne se demandait pas qui serait devenu cet enfant, s’il avait eu un avenir. Était-il une fille, ou un garçon ? Lui aurait-il ressemblé un peu, beaucoup ? Serait-il devenu artiste, ou sa tête aurait-elle été trop ancrée dans la réalité ? Si c’était un acte égoïste, elle n’en oubliait pas qu’il était aussi la preuve de l’amour particulier qui la reliait à cet enfant. Si elle le refusait, c’était aussi pour lui.

En arrivant à l’hôpital, elle avait rapidement atteint la salle d’attente du service gynécologie, échouant sur un siège inconfortable tandis que son regard se fixait sur les murs mauves de la pièce. Instinctivement, presque inconsciemment, elle avait attrapé son téléphone portable, ouvert sa conversation avec sa mère. Parce que si elle avait pensé pouvoir affronter ce moment toute seule, elle n’en était à présent plus aussi sûre. Même si certains diraient qu’elle l’avait bien cherché, à ne jamais se poser. Qu’elle avait joué avec le diable, à fréquenter les hommes en oubliant qu’elle était fécondable. Quand d’autres diraient qu’elle devait y voir une opportunité, parce qu’à presque trente ans, on est déjà presque passée, déjà presque périmée et qu’une femme, bon sang, ne peut s’épanouir que dans la maternité.

Tu étais au travail lorsque tu as reçu ce message un peu étrange de ta fille. D'aussi loin que tu t'en souviennes, elle ne t'a jamais envoyé un message tel que celui-ci. De quoi te faire stresser, surtout si ce sont des choses dont on ne parle pas par messages et qu'elle te parle d'hôpital. C'est plus fort que toi, mais tu imagines le pire. N'étant plus de celles qui fait passer son travail avant le reste, tu n'as pas hésité une seule seconde à reporter les deux derniers rendez-vous qu'il te restait avec tes patients au lendemain. Après tout, ils peuvent attendre encore vingt-quatre heures. Ta fille, elle, ne peut pas attendre davantage. Surtout pas à l'hôpital. Tu ne sais pas si elle en a parlé à quelqu'un d'autre mais dans tous les cas, elle a besoin de toi et tu ne veux pas faillir à cette tâche, à ton rôle de mère. Pas une fois de plus.

Dès que tu t'es occupée de ça, tu récupères toutes tes affaires que tu glisses à la hâte dans ton sac à main, avant de filer pour rejoindre ta voiture. Les clés sur le contact, tu roules jusqu'à l'hôpital de la ville pour pouvoir retrouver Victoria, mais aussi pour pouvoir comprendre ce qu'elle traverse en ce moment. Mine de rien, tu t'inquiètes pour ta fille. Elle est la chère de ta chère, ce que tu as de plus cher et tu ne veux pas qu'elle puisse traverser quoi que ce soit seule. Arrivée à destination, tu gares ta voiture, reprenant à nouveau tes affaires avant de pénétrer dans l'enceinte de l'établissement

A l'accueil, tu donnes le nom de ta fille et la demoiselle te dit simplement le peu de choses qu'elle peut te dire : que tu dois te rendre jusqu'à la salle d'attente du service gynécologique. Dans l'urgence de la situation, tu ne tilt pas vraiment ce dont il pourrait s'agir et on ne peut pas vraiment te le dire non plus. Ni une, ni deux, tu rejoins la salle d'attente du service, ton regard se posant ensuite sur la prunelle de tes yeux. Elle est bien là, c'est tout ce qui compte. Tu t'installes à ses côtés, attrapant délicatement sa main que tu serres tout doucement, signe que tu ne la laisseras pas tomber. J'ai fais au plus vite. Ne la lâchant pas du regard, tu poses ensuite cette question qui te brûle tant les lèvres. Qu'est-ce qu'il y a, ma chérie...? Elle peut tout te dire sans que tu ne la juges. Jamais tu ne pourrais émettre un jugement quelconque à son égard, d'ailleurs.

Elle avait beau y penser et y repenser, elle ne comprenait pas encore comment cela avait pu arriver. Bien sûr, elle sait qu’elle ne mène pas la vie la plus rangée possible. Elle sait que c’est le genre de choses qui peut arriver. Mais elle sait aussi qu’elle n’a jamais oublié aucune pilule. Et qu’à sa connaissance, aucune capote n’a jamais craqué. Elle fait toujours ce qu’il faut. Alors pourquoi, pourquoi elle en était là à présent ? Comment en était-elle arrivée là, surtout ? Comment pouvait-elle se retrouver à attendre dans cette salle aux murs mauves que sa mère arrive et qu’un docteur vienne la chercher pour faire ce qu’il y avait à faire ?

Comment cela allait se passer ? Comment allait-elle se sentir après tout ça ? Qu’est-ce qu’on allait lui faire ? Si elle avait prit sa décision, la jeune femme n’avait pas vraiment d’idées sur comment tout cela allait se passer. Sur le processus en lui-même. Est-ce que ce serait long ? Est-ce que ce serait douloureux ? Elle n’en avait aucune idée. Il parait que chaque femme vit la chose à sa manière. Il y a celles pour qui tout va bien. Et puis il y a les autres. Celles dont elle espère ne pas faire partie.

Le temps lui donnait l’impression de s’écouler au ralenti, tandis qu’elle attendait l’arrivée d’un docteur auprès d’elle, en espérant toutefois que celui-ci soit moins prompt à la rejoindre que sa mère, qu’elle avait finalement appelée à la rescousse, lui envoyant un message. Elle avait pensé, au début, qu’elle irait seule vivre ce moment. L’affronter. Sa décision prise, elle s’était sentie la force de l’accomplir. Maintenant, elle n’était pas certaine de pouvoir y parvenir toute seule. Cette plongée dans l’inconnu avait quelque chose d’inquiétant malgré tout. Et dans un tel moment, elle savait qu’elle pouvait compter sur sa mère. Si cela n’avait pas toujours été le cas, ça l’était en tout cas aujourd’hui.

Sa mère prenant place à ses côtés, la jeune femme ferme les yeux,  se concentrant sur la chaleur rassurante de ces doigts qui pressent les siens, qui la soutiennent sans avoir besoin de parler. Et pourtant, parler, il le faut bien, alors que Malia attend naturellement des réponses que la brunette n’a pas été capable de lui apporter par écrit un peu plus tôt. Comment l’aurait-elle put ? Comment aurait-elle pu dévoiler à sa mère ce qui lui arrivait, avec un simple sms ? Cela lui semblait impossible. Mais à présent, elle ne pouvait plus reculer. Il lui fallait dire à sa mère ce qui lui arrivait, ce qu’elle s'apprêtait à faire.

”- Je suis enceinte…” annonce-t-elle en grimaçant.