Tell me you're okay (ft Eleonora)

Irene s'était réveillée tôt ce matin. Elle avait des répétitions pour le spectacle de Noël des filles à qui elle apprend la danse classique l'après midi et il fallait qu'elle se prépare et qu'elle revoit les chorégraphies. Les filles étaient remontées à bloc. Elles avaient envie de se donner à fond, de dire "Nous savons danser, nous sommes gracieuses.". Parce que la danse c'est avant tout une discipline gracieuse. C'est pour cette raison que la quadragénaire avait choisi "Casse-Noisette". En y apportant sa petite touche personnelle et en apportant une touche de chacune des filles. Les costumes étaient fait par une des mamans des danseuses. Elle faisait un boulot monstre. Elle avait pris les mensurations de toutes les jeunes femmes et venait régulièrement pour faire des essayages.

L'après-midi venue, elle salua toutes les filles. "Bonjour Faith. Dolly. Mademoiselle casse-tête". Elle aimait leur donner des surnoms qui n'avaient jamais rien de méchant. Par exemple, cette "mademoiselle casse-tête" était surnommée ainsi parce que c'était un vrai casse-tête dans son sac de danse. Dans sa tête aussi, cela dit, puisqu'elle se prenait toujours la tête pour donner le meilleur d'elle-même. Et ce côté de sa personnalité se voyait de plus en plus. Elle avait quinze ans. Elle avait un spectacle dans deux mois. Il fallait qu'elle soit parfaite. Pour autant, elle ne prenait pas le dessus sur les autres. Enfin...plus. Il fut un temps où elle ne pouvait s'empêcher de prendre toute la place.

Puis, le soir venu, elle était rentré chez elle. Envoyant un message à sa meilleure amie, elle lui proposa de venir passer la soirée chez elle si elle le pouvait. Les filles étaient de sortie et Irene était donc seule. Elle n'aimait pas ça, être seule. Alors la rousse prépara un petit quelque chose avec des biscuits apéro, deux verres de vin et attendit patiemment que Eleonora arrive. Sur son téléphone, elle recevait des messages de ses filles : "On est bien arrivé." ou "J'ai envie de rentrer mais j'ai promis à Julien de rester.". Ces messages comblaient le vide de la maison.

@Eleonora Richter

Comme beaucoup de journées passées aux urgences, celle-ci a été difficile. Plus particulièrement que d’autres, toutefois, alors qu’entre autres ils ont perdu une patiente sur la table d’opération, un peu avant seize heures. Et Eleonora se souvient encore trop bien de la détresse palpable des parents au moment où son collègue et elle-même avaient dû leur annoncer que leur fille n’avait pas survécu à l’intervention. c’était le genre de douleur sourde, profonde, que la blonde ne comprenait que trop bien, comme elle comprenait parfaitement que leur monde tout entier se soit effondré en même temps qu’ils avaient entendu la voix du médecin. C’était une souffrance qu’elle ne souhaitait à aucun parent. Qu’elle connaissait, malheureusement, intimement. Si sa fille n’était pas morte - si elle n’en avait toutefois pas la confirmation - il n’en restait pas moins que malgré les recherches mises en œuvre il y a treize ans de cela, les forces de l’ordre avaient été dans l’incapacité de la retrouver, finissant par abandonner les recherches. Si elle ne savait pas exactement ce qu’était la douleur de la mort, elle savait au moins ce qu’était le manque, l’absence. La douleur de la perte. Le deuil de la relation.

Si elle avait pu préserver ces gens de ce mal, la quinquagénaire l’aurait sans nul doute fait. Mais elle avait été inutile, impuissante, alors que l’adolescente n’avait pas été prise en charge à temps. Une bête erreur de diagnostic, un médecin qui n’avait pas assez creusé un problème. Un cas classique. Et au bout du compte, une pauvre âme condamnée désireuse de vivre, de tenter le tout pour le tout, quitte à y perdre la vie. C’était exactement ce qui s’était produit. Exactement ce à quoi l’équipe avait été confrontée.

Ce soir, elle ne veut pas rentrer chez elle. Ce n’est pas nouveau. L’appartement vide lui rappelle bien trop le mal dont elle souffre, le manque de sa fille, la perte de cette dernière. Ce soir, ce serait pire encore, lui rappelant de manière trop vivace cette douleur dont elle avait été la témoin. Et la blonde songe alors à rester à l’hôpital. Elle n’aurait qu'à dormir dans une salle de repos avant de reprendre du service. C’est ce qu’elle aurait fait, assurément, si Irene ne s’était pas manifestée en lui envoyant un message, évoquant sa solitude ce soir. Alors la blonde avait raccroché sa blouse pour voler au secours de sa meilleure amie, combler la solitude de cette dernière par sa présence. Laisser la rouquine combler la sienne. Aujourd’hui veuve de l’amour de sa vie, Irene avait plus que jamais besoin d’Eleonora. Que celle-ci oublie ses tourments pour la soutenir. Et la blonde s’y employait.

Sonnant à la porte de sa meilleure amie, la blonde attend donc quelques secondes avant que la porte ne s’ouvre, la laissant entrer en tendant à Irène la boîte de chocolats qu’elle s’est arrêté acheter en passant. Et puis elle se débarrasse de ses affaires avant de porter son regard sur la mère de famille.

”- Comment tu te sens ?”

Irene n'eut pas à attendre longtemps la réponse de sa meilleure amie et encore moins son arrivée. Elle avait acheté un petit quelque chose avant de venir et ça toucha la rousse. Elle aimait ces petites attentions. Des attentions que son défunt mari avait habituellement. Cela lui prit du temps de comprendre réellement ce qu'il s'était passé. Cet arrêt cardiaque surprenant avait enlevé un père à ses filles et un mari à sa femme. Mais elle ne lui en voulait pas. Comment lui en vouloir ? Ce n'était pas sa faute. Il était parfait, son mari. Et des fois elle réagit comme s'il était encore là. Elle dresse la table pour lui aussi, elle rentre et crie "Je suis là chéri". Mais bien sûr il ne venait jamais l'embrasser sur le front comme il le faisait toujours.

"Je sais pas trop.". Et comme Irene était Irene, elle changea de sujet rapidement. "J'ai sortie du vin. Je te sers un verre ?". Demanda-t-elle en allant dans le salon et en posant les chocolat sur la petite table, là où se trouvait le reste disons...des provisions. Elle s'assit et se servie un verre avant de prendre une gorgée. "Et toi ? Comment tu te sens ? Pas trop fatiguant le boulot ?". Elles faisaient la paire, toutes les deux. L'une avait perdu son mari et l'autre avait perdu sa fille. A savoir ce qui est le pire. En tout cas elle ne voulait pas faire remonter de mauvais souvenirs et préfère parler du boulot. C'était un terrain un peu plus "secure". Mais plus pour Irene que pour Eleonora. Cette dernière avait un métier plus compliqué que sa meilleure amie. Pour autant il y a des choses positives dans le boulot de la blonde. Des rencontres, des collègues géniaux. Irene n'avait pas de collègue, mais elle avait les parents des filles et du garçon à qui elle donnait des cours de danse. Elle prit une gorgée de son vin.

@Eleonora Richter

Lorsque sa meilleure amie affirme ne pas vraiment savoir comment elle se sent, Eleonora pousse un léger et très discret soupir. Irène n’avait pas besoin de prendre sur elle devant elle, pas besoin de faire semblant, pas besoin de retenir autant ses larmes que ses mots. La blonde était là pour l’écouter, pour accueillir ses confessions, l’aider à porter sa peine et sa douleur. Si Eleonora avait encore un mince espoir de retrouver un jour sa fille, malgré la douleur terrible de son absence, de l’avoir perdue, Irene pour sa part ne pouvait pas même espérer qu’un jour son époux passe le pas de la porte, revenant à la maison. Pour elle, c’était bel et bien terminé. Il n’y avait plus le moindre espoir.

Elle avait perdu son mari trop tôt, trop jeune et il serait bien normal qu’elle ne se sente pas bien, qu’elle en veuille à la terre entière, comme c’était le cas de ses filles, notamment de la plus jeune, plongée dans une douleur incommensurable qui ne semblait pas pouvoir connaître de fin. Il serait bien normal qu’Irene aille mal, qu’elle ait besoin de soulager son coeur, de pleurer pour se décharger un peu de toute cette pression sur ses épaules et de toute cette peine sur son cœur. Mais elle ne le fait pas. Elle ne craque pas. Elle reste forte dans l’adversité et se contente de rester droite, pour ses filles.

”- Avec plaisir pour un verre.” souffle la blonde.

Sa meilleure amie reportant la conversation sur elle, Eleonora hausse un peu les épaules. Il lui semblait tellement inopportun de parler de ses propres problèmes, de ses propres tourments, considérant qu’elle avait toujours son époux en vie, même s’ils se parlaient difficilement, pour ne pas dire pas du tout, et que sa fille pouvait revenir, un jour, dans leur vie. Parfois, il lui semblait tout simplement qu’elle n’était pas légitime à avoir trop de peine, en comparaison de la perte connue par sa meilleure amie, au nom de cet espoir qu’elle pouvait encore nourrir de voir sa fille en vie.

”- Le travail, hé bien, disons que c’est toujours très intense comme d’habitude.” souffle la blonde en évitant de mentionner les événements de la journée. ”Quand à Isadora… ” elle retient son souffle. ”Nous n’avons toujours pas de pistes.” Elle expire, avant de fixer sa meilleure amie un moment. ”Tu sais que tu n’as pas besoin d’être forte devant moi, Irène… Je ne suis pas là pour ça…”

Il y avait ce rêve. Ce rêve que faisait Irene parfois (souvent en fait). Ce rêve : son mari passant le pas de la porte avec un bouquet et lui disant qu'il est désolé pour le retard. Un rêve tout à fait bouleversant au réveil. La quadragénaire avait donc tendance à se réveiller en pleurant. Cela dit elle ne pleurait jamais en faisant du bruit. Ses pleures, comme ses rires, étaient silencieux. Quoi que, ses rires, les vrais, étaient toujours entendables. Mais ses pleures étaient toujours silencieux. Jamais elle ne pleurait devant ses filles. Jamais elle ne pleurait dans sa chambre en criant dans son coussin comme les jeunes filles pouvaient le faire pour une rupture amoureuse. Alors que là c'est bien pire. C'est bien pire qu'une rupture amoureuse. Elle est mal, oui, Irene. Mais elle n'aime pas en faire tout un plat. Elle aimerait pleurer, elle en a envie, là, maintenant, tout de suite, mais elle n'y arrive pas.

En fait, la question n'était pas "comment vas-tu ?", mais plutôt "as-tu déjà pleuré tout ce que tu pouvais ?". C'est un peu violent. Mais c'est la bonne question. Pour en venir à autre chose Irene servie un verre à Eleonora et lui tendit, avant de prendre son propre verre et de boire un peu.

Bien sûr la rousse avait fini par avoir les larmes aux yeux quand sa meilleure amie lui dit qu'elle n'était pas obligé d'être forte devant elle. Et elle le savait. Elle savait qu'elle pouvait pleurer devant elle. Et une larme coula. Puis une deuxième. Elle ferma les yeux, respira profondément et essuya les quelques larmes qui avaient coulés. Quand elle ouvrit les yeux, elle sourie légèrement. "J'ai déjà pleuré ce matin, tu sais. Je crois que bientôt je n'aurais plus aucune larme.". Est-ce que c'était possible ? Quand on est mal on a toujours assez de larmes. Puis elle posa son verre et prit Eleonora dans ses bras. Pas seulement pour elle-même, mais aussi pour leur problème respectif. La blonde : sa fille disparue. La rousse : son mari décédé. "On va s'en sortir." dit-elle alors finalement. Elle s'empêchait de pleurer. Pleurer pour elle-même mais aussi pour Eleonora. Elle était si mal. Et Irene le voyait. Malgré qu'elles en parlent peu ou que la maman ne montre que peu ses émotions devant l'autre maman en parlant de sa fille.


@Eleonora Richter

L’une comme l’autre avaient toutes les raisons du monde de pleurer. Toutes les raisons du monde d’être triste, d’être mal, d’en vouloir à la terre entière et de pleurer toutes les larmes de leur corps. L’une comme l’autre avaient toutes les raisons du monde de se sentir au bord du gouffre. Toutes les raisons du monde d’être prêtes à sombrer. Toutes les raisons du monde d’avoir besoin l’une de l’autre. Et pour cette raison Irene n’avait pas besoin de retenir ses larmes face à sa meilleure amie. Elle n’avait pas besoin de faire comme si tout allait bien, pas besoin de prétendre un sourire, pas besoin de donner l’illusion de bien se porter. Au contraire. Elle avait devant la blonde tout le loisir d’être triste, d’être faible, de laisser couler les larmes qu’elle s’efforçait de contenir devant ses filles pour ne pas leur causer plus de peine qu’elle n’en ressentaient déjà. Elle pouvait se laisser aller à montrer ses états d’âme, ce n’était pas la blonde qui l’en empêcherait. Au contraire, elle serait une épaule fiable pour sa meilleure amie, pour accueillir la peine de cette dernière et la réconforter.

Comme elle le lui fait remarquer, la blonde ne tarde pas à voir une larme, puis une seconde, sillonner la joue d’Irène qui s’empresse d’en effacer toute trace d’un revers de la main qui brise le cœur de sa meilleure amie. C’était la preuve que, même si Irène a parfaitement conscience de cela, elle ne voulait tout de même pas se le permettre, annonçant finalement avoir déjà trop pleuré le matin-même, de sorte qu’elle n’aurait bientôt plus de larme en réserve. Comme si c’était possible. La blonde l’aurait apprécié, mais sait que ce n’est pas possible. Elle pleure elle-même quotidiennement depuis des années à la pensée de sa fille disparue et jamais ses larmes ne se sont taries. Jamais elles n’ont été moins intenses. Ne plus avoir de larmes, elle ne sait que trop bien que ce n’est pas possible. Et puisqu’elle vient de voir deux larmes rouler sur la joue d’Irène, elle sait pertinemment que cette dernière pourrait pleurer si elle se laissait faire.

”- Ce n’est pas une raison…” souffle la quinquagénaire en la regardant sérieusement. ”Si tu en as besoin…”

Elle ne dit rien, Eleonora. Elle ne lui avoue pas que ce n’est pas possible de ne plus avoir de larmes. Elle ne lui dit pas que ce n’est tout simplement pas quelque chose qui arrive. Elle se contente de l’observer puis la serrer fort dans ses bras comme Irène l’enlace, assurant qu’elles allaient s’en sortir. Elle ne demande pas mieux, même si elle n’est pas sûre que cela soit possible. Avec le temps, peut-être Irène fera-t-elle son deuil et c’est tout ce que sa meilleure amie peut lui souhaiter. Mais pour ce qui est de son propre cas, voilà treize ans que son mal ne passe pas. Le pourra-t-il un jour ? Elle en doute.

”- Je te le souhaite Irène. Je te le souhaite tellement !” affirme l’infirmière, les larmes aux yeux.

Finalement Irene sait parfaitement que les larmes ne s’arrêtaient pas de couler comme ça. Elle avait beaucoup entendu une phrase qui ne la faisait ni rire ni ne la faisait pleurer. « Pleure, tu pisseras moins. » Quelle grossièreté. Bien sûr ce sont les hommes qui disent ça en général, mais c’est de très mauvais goût. Souvent c’est pour détendre l’atmosphère, parfois pour faire encore plus pleurer, parfois pour empirer les choses. Dans tous les cas on ne sait pas ce que cela va donner. Mais tout ce qu’Irene sait : c’est que cela n’a jamais donné rien de bon sur elle. Puis elle prend sa meilleure amie dans ses bras et lui dit qu’elles vont s’en sortir. La blonde n’est pas convaincue, la rousse le sait, le sent, mais elle continue de l’enlacer en pleurant en silence. Elle ne veut pas qu’elle s’en rende compte. Du moins pas avant que toutes ses larmes soient séchées.

Un peu de temps passe. Les deux meilleures amies sont là, attendent ensemble que cela passe. Enfin…Irene attend que ses quelques larmes passent. Et là, enfin, elle se calme la jolie rousse. Elle n’était même pas secouée par des sanglots. Quelque part elle était devenue une experte pour cacher qu’elle pleurait. Le soir, par exemple, quand une des filles vient la voir dans sa chambre alors qu’elle pleure, elle fait comme si elle venait de se réveiller et se frotte les yeux avant de demander ce qu’il se passe. C’est très efficace. Enfin…C’est ce que pense la quadragénaire en tout cas.

La quadragénaire se recule et sourie légèrement. « Bon, on fait quoi ? Je prends ma revanche au poker monopoly ? ». Ce qu’elle appelle « le poker monopoly » c’est du poker mais avec des billets de monopoly. Ce qui est plutôt marrant puisqu’elle a inventé ça quand elle était petite et que ça lui rappelle de très bons souvenirs. Libre à Eleonora d’accepter ou de refuser.

@Eleonora Richter

Elle sait. Elle sait que son amie ne va pas bien, elle sait qu’elle a besoin de pouvoir pleurer parfois, de pouvoir être écoutée surtout, alors qu’elle n’ose pas craquer devant ses filles, tout au contraire, essayant de se montrer la plus forte possible pour elles, pour les aider à tenir bon, à tenir le cap, alors que la situation est aussi particulièrement difficile pour elles qui n’ont pas besoin de voir leur mère aller mal. Pour autant, Irene est libre d’avoir de la peine, de ressentir la douleur du manque et de l’absence de son mari, sans devoir toujours être ce rocher qu’elle cherche à être, insubmersible, pour le bien de ses filles. Il est normal d’être au plus bas dans une situation telle que la sienne. Normal d’avoir parfois besoin de lâcher prise. Sa peine est légitime, ses besoins le sont tout autant et Eleonora entend bien être cette personne sur qui son amie peut compter pour l’épauler dans cette épreuve qu’elle traverse et que la blonde ne comprend que trop bien malheureusement sans l’avoir vécu elle-même.

Elle veut être là pour Irène et elle doit se montrer forte pour elle, oublier ses propres tourments pour accueillir ceux de son amie, la soutenir comme la rouquine la soutient indéfectiblement depuis toujours. C’est à son tour de lui renvoyer l’ascenseur après avoir longtemps été celle qui avait besoin d’Irène. Pendant un moment, ça avait été elle qui avait eu besoin de son amie et qui en avait toujours besoin, du reste. Mais les peines d’Irène, ses tourments, permettaient aujourd’hui bien malheureusement d'équilibrer la balance et permettre d’inverser les rôles, que la blonde se sente utile à son tour pour la mère de famille.

”- Une revanche ? J’entends bien gagner oui !”

Le poker monopoly était une invention de son amie qu’elle avait appris à apprécier. Elle avait découvert ça en jouant avec Irène, pariant de l’argent factice dans un esprit de franche camaraderie et rigolade. Pour autant, elles ne se faisaient pas de cadeau quand il s’agissait de jouer et la perdante offrait toujours quelque chose à l’autre après coup. Quand elle perdait, Eleonora offrait ainsi une boîte de chocolat à Irène. Plus sympa que de véritables histoires d’argent, n’est-ce pas ?

”- Allez ! Installe les billets, je nous prépare un verre !”

Irène voulait penser à autre chose ce soir que la peine qu’elle ressentait encore pour son mari décédé trop tôt. Pour la peine qu’elle a pour ses filles, aussi, elle ne peut en aucun cas dire qu’elle ne ressent rien en voyant ses filles mal en point. C’est ainsi, peut-être, pour certains, mais qu’est-ce que ça fait mal de voir ses filles dans un tel état. La rousse voulait que ses filles aillent bien, c’est tout. Mais ce n’était pas aussi facile que ce que l’on pourrait croire. Elle pourrait les envoyer voir un psychologue, mais elle n’osait pas leur demander. La peur de recevoir en pleine figure un : « Je ne suis pas folle ! » et la peur de ne pas se faire comprendre en disant que non, elles ne sont pas folles, mais qu’un psychologue pourrait sûrement aider en quelques points les filles à aller mieux. Elle-même devait voir un psychologue pour demander des conseils. Elle n’en avait pas besoin pour elle. Elle avait Eleonora, sa meilleure amie. Et même si cela pouvait peser lourd sur les épaules de la blonde, la rousse savait que ça irait puisqu’elle était forte. Elle le lui avait montré, bien qu’épleuré, à la disparition de sa petite fille chérie. Une petite fille merveilleuse, disaient ses parents.

Alors, pour penser à autre chose, elle propose un poker monopoly. Se levant, léger sourire presque sincère sur les lèvres et léger ricanement quand sa meilleure amie lui dit qu’elle leur prépare un verre. Irene sort tout l’attirail et le pose sur la table en attendant Eleonora. « J’espère que ce que tu nous sers est bon, sinon je te crache tout à la figure dans un challenge ne pas rire. J’ai entendu ça à l’école de danse, pendant les pauses. ». Et c’était assez hilarant. Bien que cela mouillait le sol légèrement, les élèves regardaient une vidéo, de l’eau dans la bouche, et le premier qui riait et crachait l’eau sur l’autre avait perdu. Irene aimait beaucoup voir ça. De la bonne humeur, des rires. Tout pour avoir le sourire.

Installée à la table, elle installa réellement tout quand Eleonora arrive et attend patiemment que celle-ci s’installe avec les verres.

@Eleonora Richter

Si jouer un peu au poker monopoly pouvait changer les idées à sa meilleure amie, Eleonora y jouerait avec plaisir, d'autant plus qu'une partie lui ferait probablement le plus grand bien à elle aussi, considérant tous les tourments qu'elle peut avoir en tête en permanence et ce depuis la disparition de sa fille. Le temps d'une partie avec Irène, l'une ne penserait plus à la perte de son mari, l'autre à celle de son enfant. La blonde ne penserait plus au désastre qu'est sa vie, sa situation maritale et familiale. Elle ne penserait plus à son mari, qu'elle a conscience de blesser et décevoir en étant pas capable de passer au-dessus le fait qu'il ait perdu son attention sur leur enfant quelques secondes. Lui aussi souffre. Lui aussi s'en veut tous les jours qui passent, tous les jours que Dieu fait et sa femme est parfaitement incapable de ne pas en rajouter. Eleonora souffre. Elle souffre d'avoir perdu sa fille, de n'avoir pas été là ce jour-là pour s'en occuper, comme elle souffre de voir son mariage voler en éclat.

"- Tu n'oserais tout de même pas !" s'insurge l'infirmière avant de hausser les épaules. "C'est ton sol, remarque."

Même si bien sûr, ce n'est à priori pas le sol qui serait le plus à plaindre dans cette histoire, si la rouquine mettait sa menace à exécution. Quittant la pièce, Eleonora s'empresse donc d'aller s'occuper des boissons, préparant deux verres de cosmopolitan - le seul cocktail qu'elle maîtrise, à vrai dire, avec le mojito - avant de revenir dans le salon, portant un petit plateau avec son litre de boisson et deux verres. Elle jette un regard à l'installation qu'Irène prépare.

"- Cosmo !" annonce-t-elle en posant son plateau, supposant néanmoins que son amie s'en doutait, la connaissant bien, plus que bien.

« Tu crois ça ? » dit-elle, moqueuse. Bien sûr qu’elle était capable de faire ce challenge. Et comme son amie l’avait si bien dit : c’était son sol, remarque. Alors non, elle ne se gênerait pas à le faire. Et en réalité, elle se demandait si elles n’allaient pas le faire. Après la partie de poker monopoly bien entendu. Mais ce serait à réfléchir. Cela pourrait être drôle avec un tout petit peu d’alcool dans le sang. D’ailleurs, si Eleonora voulait rester dormir ici, même si elle n’allait pas boire des litres et des litres d’alcool, elle pourrait sans aucun problème. Ce que Irène s’empressa de dire : « Tu sais si tu veux rester dormir ici, tu peux, même si tu ne bois pas beaucoup. ». Mais elle avait peut-être une garde à assurer. En fait Irène avait complètement oublié. Elle avait ce petit problème. Elle oubliait les choses qui lui déplaisaient, la rendait triste (sauf la mort de son mari, cela va de soi), ou tout autre chose qu’elle n’avait juste pas envie de retenir. Ses filles s’en inquiétaient de temps en temps en disant : « Mais maman, j’ai dit ça y’a une semaine. ». Et oui, bien sûr, la rousse s’en voulait d’oublier des choses importantes pour ses filles, sa famille, ses amis, sa meilleure amie. Elle ne voulait blesser personne. Peut-être qu’Alzheimer la guettait. Ou sûrement était-ce un effet du traumatisme de la perte de son mari. Son mari qu’elle aimait toujours tant…

« Co quoi ? », demande Irène, taquine depuis quelques minutes. Cela lui faisait un bien fou, de ne pas penser à tous ses problèmes ne taquinant Eleonora et, bien sûr, en jouant au poker monopoly. « Dis : pourquoi j’en étais sûre ? » dit la rousse en appuyant sur le « sûre ». Après tout, elles se connaissaient assez bien pour savoir ce que l’autre savait faire en cocktails. Et Irène était clairement la plus nulle. Même ses filles savaient les faire mieux qu’elle. Chose qu’elle n’était pas censé savoir, mais quand on rentre d’un week-end en amoureux, que l’une à fait la fête, a laissé un fond dans une carafe, que l’on goutte et que cela est délicieux, on évite de se poser trop de questions, mais on sait qu’on n’est pas à la hauteur. Puis on va réveiller la jeune fille en question et hop une petite leçon de morale. A chaque fois, Irène riait après, silencieusement, avec son mari. Ce n’était que de bons souvenirs. Et Eleonora devait se rendre compte qu’Irène était dans ses pensées, léger sourire aux lèvres, puisqu’elle l’appela.

« Pardon, je pensais à quelque chose de bien. » Pour une fois. Si la rousse partageait cela avec la blonde, il ne faisait aucun doute qu’elle finirait par rire avec elle. Mais là n’était pas la question. Cartes, jetons, billets, tout était prêt. « On y va ? »

@Eleonora Richter

Irène peut cracher toute sa boisson si elle ne l'aime pas, à vrai dire, ce n'est pas chez l'infirmière. Donc... ça regarde son amie, si elle a envie de ruiner tout son carrelage avec un crachat. La blonde s'en lave les mains. Même si tout ça n'est qu'une plaisanterie. D'ailleurs, Eleonora affirme même que son interlocutrice n'oserait pas cracher comme elle le prétend, ce que cette dernière semble prendre comme un challenge, une provocation. D'ici qu'elle mette vraiment sa menace à exécution juste pour prouver qu'elle en est capable... Il n'y a qu'un pas. Mais encore une fois, ce ne serait pas vraiment sa responsabilité si son amie faisait cela.

"- Alors là je nie toute implication dans cette histoire !" affirme-t-elle, levant les mains au niveau du thorax pour appuyer ses dires.

Rapidement, elle disparait en cuisine et s'atèle donc à la préparation d'une boisson pour leur plus grand plaisir, même si elle n'est pas très douée pour toutes ces choses là, ne connaissant en tout et pour tout que deux breuvages, si bien qu'Irène doit parfaitement se douter de ce qui l'attend. En réalité, la blonde ne sait pas préparer quoi que ce soit d'autre que des mojitos et des cosmos. La base. Tout ce qui est sex on the beach, moscow mule et autre, ça lui passe complètement au-dessus. Elle n'y connait pas grand chose. Peut-être qu'elle pourrait essayer un jour, si elle a les bons ingrédients. Mais pas ce soir. Ce soir, ce sera des cosmos et Irène semble s'y attendre, comme elle la fait répéter, demandant rapidement à son amie pourquoi elle était sûre que ce serait ça.

"- Sûrement parce que je ne suis pas barmaid et que ce n'est pas la saison des mojitos." remarque la blonde.

Elle esquisse un sourire comme sa meilleure amie avoue s'être perdue dans d'agréables pensées. Tant mieux. Elle aime mieux cela que de la voir pleurer. Les pensées agréables sont des choses à quoi se raccrocher quand tout va mal et elle aime autant que son amie se perde dans ce genre de souvenirs heureux. Parce qu'elle songe que ce doit être de ça dont il est question, au regard rêveur qu'elle avait eut. Sûrement aussi parce qu'elle connait son amie et sait comme son passé est heureux, plein de rires.

"- Est-ce que je peux savoir quelles étaient ces jolies choses alors ?" demande la blonde avec un sourire. "C'est toujours appréciable d'entendre des choses positives." remarque-t-elle avant d'acquiescer. "Oui, allons y !"

C'est qu'elles ont une partie à disputer !