On va se mettre au rouge !

Matt avait besoin de changer d'air. Et elle, de rentrer au ranch. Elle avait besoin de retrouver cet endroit qui était son sanctuaire. Elle voulait revoir son grand père. Ses chiens. Ses chevaux. Aller se perdre dans les immensités du désert.
Assise dans l'avion, Amalia regardait d'un œil adorateur l'étendue de terres oranges et rouges qui se dessinaient sous elle et jusqu'à l'horizon. Revoir ce paysage lui procurait toujours la même émotion d'euphorie mêlée de mélancolie. Ce lieu était chargé de bien des choses pour elle. Elle y avait vécu ses plus beaux moments comme les plus horribles mais elle ne pouvait pas faire autrement que de vouloir le fouler aussi souvent que possible.
Puis cette fois, elle le ferait avec Matt ! Elle était heureuse qu'il vienne avec elle ! Ca faisait longtemps qu'il ne l'avait pas accompagné. Elle n'avait pas prévenu son grand père histoire de lui faire la surprise ! Le feeling était toujours bien passé entre eux et elle avait juste trop hâte de voir sa tête lorsqu'il verrait Matt apparaître ! Elle l'entendait déjà d'ici jurer avant de le prendre dans ses bras en lui tapant le dos à lui en décoller les poumons !

Quelque peu ankylosée par les 15 heures et quelques de vol qu'elle venait de s'enquiller, la jeune femme s'étira et se tourna vers son voisin qui dormait à points fermés. Le traître l'avait lâché au bout de leur 5e film !

- Hé la belle au bois dormant ! On arrive bientôt, lui dit-elle en s'étirant. Bordel j'ai le derche en compote !

Le pilote amorça la descente et Lili se crispa. Elle avait horreur des atterrissages ! Les hôtesses passèrent afin de vérifier que les tablettes et dossiers étaient tous redressés, puis allèrent s'attacher à leur tour alors que Lili saisit la main de son meilleur ami. D'habitude elle broyait l'accoudoir, mais puisqu'il était là ! Elle ferma les yeux et serra les dents tout le long de la manœuvre, se disant qu'elle ne se ferait jamais à ça ! Une fois que les roues eurent touché le sol, elle expira profondément afin de calmer son cœur en aller retour.  
Le pilote prit alors la parole afin d'annoncer l'heure ainsi que la température. Le temps semblait doux, mais relativement frais pour Phoenix ! L'hiver allait visiblement être rude ! Qu'importe ! Ça leur ferait des excuses pour se faire des soirées feu de cheminée !
Une fois hors de l'avion, Amalia et Matt se dirigèrent à travers les terminaux. Leurs passeports tamponnés, elle ressortit son billet histoire de trouver le tapis roulant où seraient livrés leurs bagages qu'ils récupérèrent assez rapidement.
Elle avait hâte de sortir de là et retrouver son grand père ! Le souvenir de l'odeur des chevaux, de la viande braisée à la cheminée et du feu de bois lui chatouillait déjà les narines ! Alléchée, Lili pressa le pas, tout sourire. Matt était une des rares personnes qu'elle avait jamais emmené ici. Le ranch était un peu son jardin secret mais lui, il y avait toute sa place et elle ne pouvait même pas lui signifier combien elle était heureuse qu'il soit là avec elle, surtout étant donné les derniers événements. Elle espérait pouvoir continuer de lui cacher combien la nouvelle qu'il lui avait annoncé concernant leur régiment l'avait heurté. Elle ne voulait pas l'accabler avec ça alors que lui même avait enfin réussi à s'en libérer. Elle était là pour le soutenir et elle ne voulait pas inverser ces rôles. Elle espérait juste que son grand père ne foutrait pas les pieds dans le plat en lui posant des questions sur le job... Jusqu'à présent, elle continuait de lui mentir en lui disant qu'elle était en lien avec la base allemande pour les Etats Unis, à Hambourg... Il ne savait rien de l'histoire avec Stark et c'était bien que ça reste ainsi.

- Lilibelle ! Hé gamine !

Amalia grinça des dents mais se retourna quand même le sourire aux lèvres pour apercevoir le chapeau tant attendu dressé sur la tête de son grand-père. Elle tendit les bras et se jeta dans les siens qui la serrèrent à l'étouffer avant de lui bourrer le dos d'une bonne tape bien virile. Oui, grand père Rankin n'était pas des plus délicats...

- M'appelle pas Lilibelle tu l'sais pourtant !

Elle préférait encore qu'il l'appelle "gamine" tiens ! Son prénom avait beau être Lilibelle, depuis la mort de son père elle refusait de l'entendre de la bouche d'un autre. Alors elle avait opté pour Amalia lorsqu'elle avait rejoint l'armée, son deuxième prénom et désormais tout le monde la connaissait ainsi. Seul Matt encore une fois, était au faut de ce secret là, c'était pourquoi elle la surnommait Lili depuis toujours.
Le vieil homme qui était malgré tout encore un franc gaillard, n'arrivait pas à appeler sa petite fille autrement que Lilibelle, du coup elle acceptait Lili de sa part aussi. Mais bon généralement, il l'appelait "gamine". Il la surnommait ainsi depuis qu'elle était petite donc ça réglait le problème. Il réalisa alors que Matt était présent. Son regard s'agrandit avant que ses lèvres ne s'étirent d'un franc sourire. Il abandonna sa petite fille et alla accueillir l'homme de la même façon.

- Matt, gamin ! Ca m'fait plaisir d'te voir ça fait un bail ! Tu r'semble de plus en plus à ton père.
- Gamin et gamine non mais sérieux...

Tous deux avaient bientôt quarante ans quand même ! Il faudrait renouveler les appellations ! Mais bon face à Iram Rankin, ils resteraient toujours des gamins, à n'en pas douter.
Iram essaya de prendre le sac de sa petite fille, mais elle refusa, comme toujours. Elle était capable de porter son baluchon merde ! Il n'insista pas et les invita à les suivre jusqu'au pick up. Lili adressa un sourire complice à son meilleur ami et passa un bras dans son dos.
C'était vraiment cool qu'il soit là...

L’avion, ce n’était pas vraiment quelque chose de confortable. Bien évidemment, en tant qu’ancien militaire, Matt avait connu bien moins confortable mais depuis un peu plus d’un an qu’il vivait désormais à Hambourg, il commençait à peut-être un peu trop s’habituer au confort de l’appartement et d’une vie presque rangée. Quelle horreur, son pire cauchemar ! Cela était que ce fauteuil était assez inconfortable et il n’avait même pas eu de céréales pendant les repas offerts par la compagnie, pour toutes les heures de vol qu’ils avaient pu faire. Quel malheur. Il allait s’en enfiler un bol complet en arrivant chez le grand-père d’Amalia, cela ne faisait absolument aucun doute.

Ce voyage tombait à la perfection. Amalia n’était plus exactement la même depuis un bon moment et Matt ne savait plus vraiment quoi faire pour l’aider. Il voyait au fond d’elle qu’elle n’était pas si bien que ça mais elle n’avait absolument jamais rien dit. Il espérait qu’une fois aux Etats-Unis, elle finirait par s’ouvrir un peu plus. Il détestait la voir ne pas lui parler, ce n’était absolument pas une chose dont il avait l’habitude. Et il voulait montrer son soutien à sa meilleure amie, jusqu’à ce qu’elle se décide à parler, même encore après d’ailleurs. Il voulait lui montrer beaucoup de soutien, oui. Mais très certainement pas pour tenir tout le trajet. Il avait toujours été particulièrement nul pour ce genre de choses, le sommeil c’était sacré. Pour pouvoir profiter à fond de leurs vacances, il fallait prendre le plus de force possible. Très certainement était-ce une fausse excuse qu’il se donnait. Il était une marmotte, il n’y avait rien de plus à dire.

Réveillé par Amalia alors qu’ils allaient bientôt arriver, il ne manqua bien évidemment pas de grogner, il adorait grogner pour embêter un peu la belle américaine. Des grognements au réveil pour se motiver un peu, grognements qui aboutissaient à un large sourire alors qu’ils sortaient de l’avion. Enfin sur la terre ferme, sur cet endroit particulièrement sacré, il respira un grand coup, l’air semblait être totalement différent ici alors que, on n’allait pas se le cacher. Mais chaque fois, c’était comme s’il revenait des années en arrière, comme s’il lui suffisait de tourner la tête pour apercevoir son papa qui l’attendait. Mais finalement, contrairement à son père, ce fût le grand-père de Lili qu’il aperçut. Et cela faisait tellement plaisir de le voir qu’il lui laissa retrouver la petite fille qu’il ne voyait pas très souvent. Un très large sourire sur les lèvres, il observa cette scène particulièrement émouvante. Il n’y avait rien de mieux qu’une personne qui retrouvait ses proches. Quel bonheur d’assister à ce genre de scène. Puis finalement, ce fut à son tour de saluer l’ancien militaire. Bien évidemment, il n’eut pas le temps de le serrer contre lui qu’il sentit sa cage thoracique être comprimée. Il ne lâcha pas son sourire bien qu’un léger bruit de souffrance lui échappa. Il voulait avoir la même poigne quand il aurait son âge ! En fait, il voulait totalement lui ressembler, cet homme était parfait avec son chapeau vissé sur la tête ! « Ouais, c’tait un bel homme ! Oh, arrête ça Lili, on est des gamins ! » dit-il en riant. Lui, ça lui plaisait particulièrement, de ne pas vieillir, de reste un môme toute sa vie. Il traîna sa valise derrière lui jusqu’à la voiture pour la mettre dedans et surtout grimper pour qu’ils se rendent vers le ranch du bonheur. « J’crois qu’je suis l’homme l’plus heureux du monde, là ! Dites, vous avez gardé mon chapeau ? Il m’a manqué ! »

La relation entre Amalia et son grand père était de celles qu'on ne pouvait qualifier. Bien trop de choses les liaient. Elle avait grandi dans ce ranch après que son père soit venu la chercher en Allemagne lorsqu'il avait appris son existence mais Iram Rankin à l'époque était un militaire fraîchement retraité et si il avait aimé sa petite fille à la minute où son fils la lui avait mise dans les bras, il lui avait fallu du temps pour apprendre comment montrer son affection ou même juste savoir comment se comporter. C'était un homme peu expansif et un officier plus gradé que certains ne le seraient jamais alors avoir soudain une enfant chez lui, une fille qui plus est, avait été plus que déstabilisant.
Pour autant, Amalia et lui avaient développé leur propre façon de communiquer. Leur propre complicité. Leur relation s'était accrue et consolidée lorsqu'elle avait perdu son père brutalement. Si brutalement qu'elle avait eu la sensation d'être avalée par le gouffre qui s'était ouvert sous ses pieds. Lorsque son cœur s'était arrêté de battre, Amalia avait sentit le sien mourir avec lui. Le choc avait été si violent qu'elle s'en était brisée les cordes vocales tant elle avait hurlé, avant que son corps ne l'abandonne, cherchant refuge dans l'inconscience. A son réveil, Amalia avait hurlé encore. Hurlé malgré sa voix éraillée jusqu'à ce que son grand père n'arrive et la serre contre lui. Elle s'y était accrochée si fort qu'elle avait déchiré sa chemise. Il avait fait preuve de bien plus de maîtrise qu'elle... Elle ne se souvenait pas l'avoir vu ou entendu pleurer comme elle avait pu le faire. Iram était un homme pudique.
Elle avait demeurée plusieurs jours dans le silence, jusqu'à finir par rejeter tout et tout le monde. Elle avait sombré dans une détresse et une mélancolie destructrices qui avait manqué la tuer elle aussi si elle avait persisté sur cette voie. Son grand père lui avait sauvé la vie.

Elle l'avait détesté ! Haï de tout son être lorsqu'il avait décidé de l'emmener de force s'engager dans l'armée. Bon sang ce qu'elle l'avait maudit ! Elle s'était sentie orpheline une seconde fois. Trahie même.
Mais finalement, c'était la meilleure chose qu'il avait fait pour elle. Si au début elle s'était rebellée de tout son être contre cette nouvelle vie qu'on voulait la forcer à accepter, si elle avait fait un nombre incommensurable de séjours au trou, elle avait fini par y prendre goût. L'armée lui avait appris à apprivoiser sa colère. A canaliser son chagrin et à transformer sa rage en autre chose. Et surtout, elle avait rencontré Matt. Son âme sœur, quoi qu'on puisse en dire. Mais elle ne s'attendait pas à ce que la Société comprenne ce qui les liait tous les deux. L'esprit des gens étaient bien trop étriqué et doté de bien trop de tendance à tout vouloir mettre dans des cases. Matt était son ami, son amant, son amour et en même temps, il n'y avait rien d'autre entre eux que l'amitié la plus sincère et la plus vraie. Aucune ambiguïté n'avait jamais subsisté. Ils s'aimaient, point. De toutes les façons dont on pouvait s'aimer. C'était que du sexe après tout et elle ne pigeait pas pourquoi les gens en faisaient tout un plat. Leurs missions et tous ce qu'ils avaient vécu et traversé ensemble les avait mené à cela et pour rien au monde elle changerait quoique ce soit à ce lien.

L'avoir ici avec elle, c'était juste vivifiant. Amalia revenait régulièrement au ranch. Généralement toujours pour les fêtes de noël mais elle était plus que ravie que cette fois Matt se soit joint à elle. Ils en avaient besoin tous les deux ! Ici, le temps de leur séjour, plus rien ne compterait. Plus rien d'autre qu'eux.
Amalia jeta son sac dans le pickup et grimpa à l'avant de la voiture avec Matt. Bon sang même ça, ça lui avait manqué ! En Europe, il n'y avait pas de voitures comme ça ! Cette bagnole était un monstre ! Lily se cala contre Matt et se tourna vers son grand père qui faisait vrombir le moteur avec une joie non dissimulée et surtout communicative.

- R'garde donc sur la banquette arrière p'tit !

Amalie se retourna pour lui et sourit en avisant le chapeau qu'elle attrapa avant de le poser sur la tête de Matt en riant.

- T'as pas amené mon chien ?
- Je l'ai pas trouvé. A mon avis il est encore parti en vadrouille. Il est aussi dévergondé qu'toi.
- Ah bah d'accord super merci ! éclata-t-elle de rire.

Son grand-père la gratifia d'un clin d'œil puis les mit en route pour le ranch. Amalia monta le son de la radio et commença à entamer une chanson de country qui raisonnait dans tout l'habitacle. Son cœur était déjà plus léger depuis qu'ils étaient sortis de l'aéroport. Elle avait la sensation de renouer avec elle-même  !
Le paysage défilait à l'horizon, orange, rocailleux, aride et pourtant tellement apaisant. Elle ne parvenait pas à cesser de sourire. Les cactus gigantesques bordaient la route qui semblait fendre le paysage en deux sur des kilomètres d'infinité. Elle aimait tant ces terres ! Elle n'avait qu'une hâte, filer à cheval à travers le désert avec Matt !
Lorsque le ranch apparut, Amalia se redressa comme si elle avait des oursins sous les fesses et tapa dans ses mains d'impatience. Les chevaux en troupeau se mirent à galoper pour suivre la voiture qui remontait l'allée dans un nuage de poussière et un aboiement familier retentit qui fit bondir son cœur dans sa poitrine.

-  Thor !

Elle enjamba Matt tant bien que Matt et sauta à bas du véhicule avant même qu'il soit arrêté pour courir à la rencontre de son chien. Le molosse, tout en muscle et en puissance lui sauta dessus et la percuta si fort qu'elle en tomba à la renverse, le souffle coupé. Elle eut l'impression qu'elle venait de se décoller les poumons mais elle n'en avait rien à faire ! Son chien lui lessivait le visage avec la joie d'un animal n'ayant pas vu sa maîtresse depuis près d'un an et elle le laissa faire jusqu'à ne plus pouvoir respirer tant elle riait.
Le french mastiff fouettait l'air de sa queue avec tant d'euphorie qu'elle aurait juré qu'il allait se déboiter le bassin à force ! Lili finit par le repousser gentiment et lui embrassa la truffe avant de se redresser. Maintenant qu'il était fort probable qu'elle ne retourne plus en déploiement, peut-être qu'elle pourrait le ramener à Hambourg avec eux...? Il faudrait qu'elle en parle à Matt. Lui aussi avait son chien d'ailleurs qu'ils pourraient récupérer également. Mais ce ne serait pas une conversation pour ce soir. Amalia ne lui avait pas encore dit que si lui n'était plus sur le terrain, elle n'éprouvait plus le même désir d'y aller...
De nature accueillante, le chien bondit de joie en voyant Matt et alla lui sauter dessus à son tour, flanquant ses grosses pattes à hauteur de ses épaules. Lily gloussa. Ce chien était un bœuf !

- Y'a un rodéo à quelques kilomètres d'ici si ça vous dit. Vous pouvez prendre le pickup. Vous avez qu'à poser vos affaire dans l'entrée on s'en occupera plus tard. Je suppose que vous dormez ensemble ?

Evidemment qu'ils dormiraient ensemble ! De toute façon à chaque fois qu'ils essayaient de faire chambre séparée, ils passaient tant de temps à discuter avant de dormir qu'ils finissaient par sombrer ensemble. Iram s'était fait une raison depuis longtemps.

- Ça te dit le rodéo ? Ou tu préfères qu'on reste au ranch ?

Ils avaient fait un long voyage elle pouvait comprendre si il préférait rester se reposer ce soir. Ils auraient tout le loisir de profiter des rodéos plus tard. Et en même temps, ce serait une chouette façon de célébrer leur arrivée en Arizona !

- Avoue tu veux y aller juste pour conduire le pickup de papy Rankin !