Eleanor était à Hambourg depuis toujours. Fille d'une riche héritière, elle avait fini par ne plus voir son père, qui l'avait rejeté quand il avait apprit sa grossesse. Sa mère, en revanche, continue de l'aider. En cachette seulement. Elle ne veut pas que son mari apprenne qu'elle est allée voir leur fille. Elle ne veut pas non plus qu'il sache qu'elle fait des cadeaux à son petit fils. Notamment pour Noël, disant qu'elle a dépensé de l'argent pour des amies. Ce n'est pas bien de mentir, mais parfois on a pas le choix. Ce qui ne veut pas dire qu'il faut mentir à tout va. Alors Eli travaillait beaucoup. Même le samedi. Bien que parfois, elle prenait cette journée, le week-end, pour rester avec Haylann. Ce petit avait presque huit ans. Déjà. Et elle ne voyait pas le temps passer. Il passait beaucoup (beaucoup) trop vite. Surtout pour une maman. Elle habite donc dans un appartement avec Haylann et le fait garder presque tous les samedi. Ainsi que le soir. Elle s'en veut, Eleanor. Elle s'en veut parce qu'elle ne passe pas beaucoup de temps avec son fils. Ou en tout cas pas assez.

Eleanor, pour subvenir aux besoins de son fils sans avoir à compter sur maman, cumule plusieurs boulots. Officiellement elle travaille dans un café, mais officieusement elle travaille également dans un bar. « Le lion ». C'est un bar où elle à l'habitude de venir maintenant. Minimum une fois par semaine. Elle jongle. Et ce n'est pas toujours facile. Ce soir, c'est encore à elle de faire la fermeture. A elle et à Zakaria. Elle ne l'apprécie pas trop. Et en même temps elle n'aime pas beaucoup d'hommes. Surtout que celui-ci à été à l'armée. Depuis qu'elle avait entendu dire par une amie que les militaires trompaient leur femme pendant leurs déploiements, elle ne les voyait pas d'un très bon œil. Mais en même temps elle n'avait pas vraiment apprécié le copain de cette amie. Il était spécial. Ca lui avait pourtant suffit à mettre tous les militaires dans le même panier. Les rageux diront que c'est également à cause de son expérience avec les hommes.

Zakaria, alors que la blonde apporte différentes choses à nettoyer, l'aide en en prenant quelques uns. Elle le remercie poliment et pas d'une manière sèche. En même temps elle le regarde peu. Mais elle n'y peut rien si tous les hommes qu'elle a connu, depuis sa séparation avec le père de son fils, étaient des imbéciles. Il y en avait bien un ou deux qui trouvaient grâce à ses yeux. Comme le cuisinier du café où elle travaille. Puis Zak lui demande si elle travaille ce week-end. Ce à quoi elle répond : « Non. Sauf si Sarah ne peut pas venir. ». En effet, cette Sarah, une collègue du bar, est la remplaçante d'Eleanor. Et c'est pareil pour l'inverse.

Eleanor ne voyait pas l'armée comme Zakaria. Tout simplement parce qu'elle n'y avait jamais été. Et qu'elle n'irait jamais. Laisser son fils ? Non. Laisser son fils avec ses grands parents ? Il y avait peu de chance puisque le grand père ne voulait plus entendre parler de sa fille donc de son petit fils non plus. Elle n'avait pas une vie facile, la maman célibataire. Mais elle ne se plaignait pas, se contentant de subvenir aux besoins de son fils comme elle le pouvait. Se donnant à fond tous les jours pour qu'il soit heureux. C'était là sa priorité. Le bonheur de son fils. Haylann. Elle l'avait appelé ainsi parce qu'elle aimait ce prénom. Mais aussi parce qu'elle ne connaissait personne de ce nom. Ce qui rendait encore un peu plus unique son fils.

Un week-end tranquille, ce n'était pas vraiment le cas. Elle allait devoir occuper Haylann et faire des courses ainsi que faire à manger midi et soir (le matin il n'y avait pas besoin de faire à manger). Mais elle voulait absolument que sa petite tête blonde mange à tous les repas. Même peu, le matin, mais quand même. « Oui on peut dire ça comme ça. ». C'était là la plus longue réponse qu'elle pouvait donner à Zakaria. Puis celui-ci lui demanda si Haylann allait bien. Ca lui fit quelque chose. C'est vrai. Elle appréciait ça même si, au fond, pour compléter sa presque indifférence envers le basané, elle trouvait ça un peu déplacé. Mais en même temps...gentil. Oui. Voilà. Gentil.

« Il va bien merci. ». Elle sourie même légèrement, pressée de le retrouver. Elle se demandait toujours ce qu'il faisait, s'il allait bien, s'il ne s'ennuyait pas trop. Puis elle essaya de continuer la discussion, sans trop s'intéresser à son collègue. « Il va avoir huit ans. ». Elle dit cela sans même qu'il ait à lui poser la question. Il grandissent vite, les enfants. Et c'est vrai, à une époque, la jeune femme aurait voulu qu'il ait un père.

Les enfants donnent souvent de la joie aux adultes. Souvent, mais pas tout le temps. Ils peuvent être de vraies petites canailles. Et les parents sont les premiers à dire qu'ils les aiment, mais il y a toujours à un moment ou un autre de leurs jeunes années qui les met à bout. Comme l'adolescence, qui ne se déroule pas forcément de la même façon pour tous les adolescents. Haylann n'y était pas encore. Il n'avait que sept ans. Bientôt huit. Il était encore petit. Enfin...pas si petit que ça. Et Eli le voyait grandir de jour en jour. Ce qui lui donnait pas mal de nostalgie. Elle aimerait pouvoir lui donner une petite sœur. Il la réclame. Mais ce jour devra attendre encore. Parce que même si elle aimait son fils et voulait son bonheur, elle ne pouvait pas cacher à d'autres qu'elle ne voulait pas d'un autre enfant pour le moment. Puis...avec qui ? Elle n'avait personne dans sa vie.

« Oh oui... ». Elle sourie, nostalgique. Elle le voit grandir son bébé. Qu'elle aime tant. Mais pas le choix. Après tout, l'une des grandes lignes de la vie c'est de grandir. Vite aux yeux des parents, grands-parents, arrières grands-parents. Mais elle ne se laisse pas emporter par la nostalgie, Eleanor. Au contraire, elle garde un léger sourire, heureuse à l'idée de voir encore son fils grandir. C'était ça, aussi, la « non logique ». Les parents ne veulent pas voir leur enfant grandir, mais ils aiment les voir progresser, passer d'un âge à un autre et d'événement à un autre. Passer des moments qui, souvent, n'appartiennent qu'à eux. Les voir évoluer, quoi.

« Oui. Sûrement dans une salle de jeux pour les enfants. Mais je dois réserver et il me faut un peu d'argent pour ça. ». C'était aussi pour ça qu'elle travaillait beaucoup. Pour offrir de beaux souvenirs à son fils. Même si elle avait un regret : ne pas passer assez de temps avec lui. Nous avons tendance à dire que si nous avons envie que cela change, ça ne tient qu'à nous C'est vrai et en même temps pas si simple.

Voir grandir son enfant est une chose merveilleuse du point de vu d'Eleanor. Il y avait là quelque chose de miraculeux. En effet, les mamans qui luttent pour avoir un enfant sont d'autant plus heureuse de voir celui qu'elles ont réussi à avoir grandir. Bon, ce n'était pas le cas d'Eli, mais elle avait déjà rencontré une maman dans ce cas là et, après une longue discussion, la blonde avait réussi à imaginer ce que pouvait ressentir cette jeune mère. Seulement imaginer. Pas comprendre. Parce que seule les mamans avec ce problème là peuvent comprendre. Du moins c'était l'avis d'Eleanor.

Elle avait envie de faire plaisir à son fils. Pour son anniversaire, mais aussi pour Noël, pour Pâques, pour les vacances d'été en l'emmenant en vacances. Bien que ce ne soit pas toujours facile. Elle voulait qu'Haylann soit heureux, tout simplement. Au moins aussi heureux qu'elle l'était lorsqu'elle était petite. Et si jamais il mettait une fille enceinte alors qu'il était en fin d'adolescence, elle ne le laissera pas tomber et ne le reniera pas. Une mère est prête à tout pour son enfant. Pas comme un père. Ou en tout cas Eli avait une assez mauvaise image des hommes avec des enfants. La preuve, il y avait le « père » de son fils qui était partie en apprenant la grossesse et il y avait le « père » d'Eleanor qui l'avait renié en apprenant sa grossesse.

Et Zakaria commence à parler de leur « relation ». Du fait que la serveuse soit froide avec le serveur. C'était compréhensible de se poser la question. Tout à fait compréhensible. Bien qu'elle ne vit pas venir cette conversation, elle répondit, le regardant dans les yeux, bien qu'un peu gênée. Ce qui n'arrivait pas souvent. « Je ne peux pas dire que je ne t'aime pas, parce que je ne te connais pas. Mais disons que...je ne fais pas confiance comme ça. Encore une fois, je te connais peu et je n'ai pas vraiment envie de t'accorder ma confiance comme ça. ». Elle s'ouvrait un peu, essayant de ne pas trop entrer dans les détails. « Je ne veux pas être méchante mais...le passé c'est le passé, mais c'est également le présent. ». Elle n'était pas très claire, elle le savait, mais elle ne voulait pas dire clairement à Zakaria qu'elle avait été déçue par les hommes de sa vie. Sans compter la réputation que les militaires/anciens militaires, ont.

Eleanor avait des préjugés, c'était certain. Et sûrement sa fierté n'était pas pour rien dans le fait qu'elle était assez froide avec les hommes. En particulier les hommes jeunes. C'est vrai, les plus vieux ont aussi leur part d'ombre, mais les jeunes sont plus associés à l'ex d'Eli et, de ce fait, au papa d'Haylann. C'est important de faire confiance aux autres. Et la gagner n'est pas forcément facile. Alors il faut être prudent avec les autres. C'est ce que la jeune femme se disait. Elle pensait vraiment qu'il y avait du bon en tout le monde, mais elle ne le voyait pas toujours. Travaillant peu avec Zakaria, elle n'avait pas encore réussi à lui faire confiance.

Le serveur essaya de la rassurer et sa voix ne l'exaspéra pas, comme on pouvait s'y attendre, mais l'attendrit un peu. Juste un peu. Il avait certaines qualités, c'est certain. Il était bosseur, gentil et il ne semblait pas être quelqu'un de mauvais. Ou en tout cas c'est ce que pensait Eleanor. Elle ne le connaissait pas, après tout. Elle savait aussi qu'il avait été militaires et que les militaires sont souvent arrogants. C'est en tout cas ce que pensait Eleanor. Et c'est là les deux seules choses qu'elle avait retenus.

« Je ne suis pas mal à l'aise. Pas vraiment. Mais je ne suis pas non plus très sereine. Disons cela ainsi. ». Elle ne dit rien de plus, le laissant parler lui-même, continuant à travailler un peu de son côté.

« Je n'ai pas le droit de juger. » dit-elle pour lui répondre. C'était vrai. Elle n'avait pas le droit de juger. Pourtant c'est ce qu'elle faisait. Mais ça, elle ne le dirait pas. Trop de fierté sans doute. Elle ne voulait pas non plus s'ouvrir à lui et lui poser des questions à son tour. Faire la discussion pouvait être agréable, mais aussi très désagréable pour la blonde. Là...c'était entre les deux.

Parfois Eleanor se remettait en question. Elle se demandait si elle n'était pas trop froide avec les autres. Avec les hommes plus précisément. Comme là, à ce moment même, elle se remettait en question. Est-ce qu'elle ne pouvait pas être un peu plus sympa avec Zakaria ? Après tout il n'avait pas l'air de lui vouloir du mal. Il n'avait pas non plus l'air différent des autres hommes qu'elle avait connu, mais il n'avait pas l'air méchant. Et au fond elle le savait qu'il ne l'était pas. C'était elle qui restait bloqué sur quelque chose qu'elle ne comprenait pas toujours. Mais la jeune femme ne pouvait faire autrement. C'était comme ça. Elle n'aimait pas que les autres s'approchent trop d'elle. De peur d'être déçue. Mais pourtant Zakaria et elle travaillaient ensemble depuis quelques temps maintenant. Elle devrait se détendre.

« Oui. Je le fais. Mais j'évite de le dire d'habitude. ». Dit-elle sur le ton de la rigolade, comme pour détendre l'atmosphère. Bien que ce ne soit pas forcément très drôle. Son humour était à revoir. Comme si elle avait l'habitude d'avoir ce genre de discussions alors que ce n'était pas du tout le cas. Elle ne voulait pas dire n'importe quoi, alors elle n'en dit pas plus. Du moins pour le moment.

Eleanor ne pouvait pas vraiment comprendre ce qu'était l'expérience de l'armée. Elle pouvait imaginer lorsqu'on lui en parlait (ce qui arrivait très peu) mais elle ne pouvait pas se mettre à la place de l'autre. Alors elle dit, pour essayer de montrer qu'elle n'était pas totalement fermée à la discussion et à la progression d'une relation entre collègues. « Ça doit être très différent. L'armée je veux dire. Ça peut être plutôt horrible j'imagine. Et je ne veux pas te rendre la vie difficile non plus. Ce ne serait pas très mature de ma part. ». Elle n'allait pas penser qu'ils pouvaient être amis, mais plutôt qu'ils pouvaient s'entendre un minimum. Ses pensées étaient un peu différentes d'il y a quelques minutes.

Eleanor est une jeune femme franche. Une maman poule, aussi. Alors les deux sont parfois un peu surprenants. Pour certaines personnes. Parce que les deux sont plutôt à l'opposé. Ou pas. Tout dépend de la manière de laquelle nous pensons. Eli, elle, pense que ce n'est pas incompatible. Etre franche est important. Ne pas tout garder pour soit indéfiniment aussi. Ce qui aurait pu arriver si Zakaria n'était pas venu lui parler. Maintenant elle ne le voyait ni mal, ni bien. Il était un homme qu'elle ne connaissait pas, ou très peu, et elle n'avait qu'une petite opinion à son sujet. La journée n'avait pas été la meilleure de la semaine alors elle avait décidé de ne pas tout garder pour elle. Cacher ses sentiments, de toute manière, ne serait pas très mature. Sans pour autant tout déverser sur la personne concernée.

Elle ne répondit que par un léger hochement de tête à l'affirmation de son collègue. Ou plutôt sa supposition. A l'intérieur (et seulement à l'intérieur puisque personne ne pouvait la voir) elle souriait légèrement. Etait-ce une petite blague de la part de Zakaria ? Ou était-ce seulement une supposition dans « arrières pensées ».

Reprendre la conversation était une façon d'affirmer les pensées de la serveuse. Celles qu'elle ne détestait pas Zakaria. Elle détestait plusieurs hommes, oui, mais elle ne le connaissait pas. Et c'est seulement maintenant qu'elle s'en rendait compte. Elle avait passé ses dernières années à détester tous les hommes qui entraient dans sa vie. Collègues (sauf le cuisinier du café où elle travaillait), connaissances, rencontres en centre ville (à l'arrêt de bus par exemple), père, ex petit-ami. Et elle en avait marre. Mais ce n'est pas pour autant qu'elle allait arrêter. Seulement avec Zakaria. Petit à petit tout du moins.

« J'imagine que c'est un peu dans tout, partout, qu'il y a des bons et des mauvais moments. Enfin non je n'imagine pas. C'est la vérité. Il y a des bons et des mauvais moments partout. ». Puis il rebondit sur ce que venait de dire Eleanor. « Non. Oui ? Enfin je ne sais pas. On travaille ensemble depuis quelques temps et je n'ai jamais vraiment essayé d'être sympa avec toi. ». Et c'était la vérité.

En effet les deux jeunes gens ne se connaissaient pas. Ils avaient très peu échangés et ceci était la première fois que la discussion durait plus de deux secondes. Peut-être est-ce un peu exagéré, mais ce n'est pas tout à fait faux non plus. C'est comme ça, parfois. On ne veut pas parler à tout le monde et c'est normal. Mais là, ils étaient collègues et sympathiser semblait être important. Surtout pour Zakaria. Il avait un comportement qui le montrait. Du moins c'est ainsi que le prit Eleanor.

L'armée est un métier difficile. La blonde s'en rendait compte. Mais l'armée était aussi quelque chose de très différent du monde dans lequel elle vie. Elle n'était jamais allée à l'armée, mais elle pouvait imaginer. Elle pouvait également se fier à ce qu'on lui disait sur cela. Et c'est vrai, elle n'avait jamais vraiment eut l'occasion de se faire sa propre opinion. Sa propre opinion qui, souvent, pouvait sauver une discussion. Dans le sens où il y aurait plus d'arguments et plus de possibilités et bien...d'argumenter.
Eleanor ne pouvait imaginer ce qu'avait vécu Zakaria là-bas. Après tout elle n'y était pas. Et elle se rendit compte que c'était assez stupide de penser ainsi. Stupide parce qu'elle ne connaissait pas. Et quand on ne connaît pas, en général, on ouvre pas sa bouche.

« C'est important de bien s'entendre avec ses collègues. Sinon ça devient insoutenable. Ca peut être très dur et j'avoue que venir travaillait ne m'enchantait pas trop. Ce n'est pas du tout pareil qu'au café. Et là-bas j'ai des clients réguliers qui me sourient, qui sont gentils. Ici on a des bourrés, des emmerdeurs... » fini-t-elle moins fort pour que personne n'entende.