J’évite souvent de me retrouver au milieu d’une foule pour différentes raisons. Me faire bousculer et insulter en fait partie, et j’essaye du mieux que je peux de ne pas flancher alors que les gens continuent leurs routes vers les défilés comme si je n’existais pas. Et puis, ceux qui me regardent ne m’offrent aucunes aides, me lâchant un air méprisant et des yeux noirs d’impatience. J’entends presque au fond de leurs remarques la voix de ma mère qui me hurle de me pousser, que je ne suis décidément pas douée comme fille et qu’elle ne comprend pas comment je suis capable de me débrouiller en peinture alors que je ne sais jamais comment me servir de mon corps correctement.
Bien sûr, cela fait belle-lurette que mes yeux ne se mouillent pas de larmes dans ces moments courts mais stressant. A l’adolescence, une telle situation avait tôt fait de me déstabiliser et me poussait souvent hors du bâtiment fuyant les regards désobligeants et les remarques blessantes qu’on trouvait souvent chez les gens de ces milieux. Mais aujourd’hui, je suis plus forte. Et ce n’est pas de ma faute si je ne comprend rien de rien à ces fichus panneaux… Si ? Et puis merde, un allemand finirait bien par en avoir marre et m’aidera sûrement à trouver mon choix. C’est statistiquement impossible que dans un pays de 80 millions d’habitants, aucun soit épris de compassion et d’empathie à mon égard. De désespoir, je me cramponne à mon sac pour ne pas montrer mon trouble. Mes yeux fixent le panneau et c’est comme si les mots s’inverser, le stress sûrement. Que quelqu’un me tire de là, je voulais juste voir les nouveautés Moschino, je ne voulais pas mourir lapider par une foule en furie…
Et là, miracle, une voix familière résonne et m’appelle. Un instant, on croit à Jésus ou bien à une apparition de la Vierge mais non, c’est une de mes nouvelles amies d’ici. Aliéna. Et Dieu seul sait à quel point sa présence me rassure alors que je lui offre un énorme sourire pour la saluer. Elle me tire hors du passage et je ne peux m’empêcher de soupirer de soulagement.
« Oh si tu savais comme je suis contente de te voir ! » Je m’exclame en lui faisant la bise, autant pour la remercier que pour la saluer. Elle est tirée par quatre épingles, comme toujours (enfin c’est l’impression qu’elle me donne), ses grands yeux bleus me scrutant hilares du spectacle que je viens de lui offrir contre mon gré.
« Désolée d’ailleurs. Tu sais à quel point j’ai du mal à lire l’Allemand… »Et pourtant, cette langue voisine du néerlandais ne devrait pas me poser problème. Mais disons que lire et parler sont deux sciences différentes que j’ai du mal à masteriser en même temps. Bref, revenons en au but de ma visite ici. C’est d’ailleurs ce qu’elle me demande, où je veux aller. Et je réfléchis un instant aux différents shows que je voulais voir avant de dire :
« Si ça te dérange pas, on peut rester ensemble pour les différents shows… ça m’évitera de me perdre et de créer de nouveaux problèmes de circulations. » Ma proposition est directe et j’espère, au fond, qu’Aliéna acceptera. Le premier show auquel nous avions assisté ensemble a été un des meilleurs de ma vie. Pas à cause des vêtements, qui étaient à vu-d ’œil catastrophique, mais grâce aux remarques d’Aliéna (que je ne connaissais pas à l’époque) qui rendait la chose beaucoup plus drôle et absurde. Qu’est ce que nous avions rigoler dans nos barbes à la vue de certaines robes de Channel… Un peu trop d’ailleurs et nous nous attirions les regards mauvais des plus grands adorateurs.
« Je comptais voir le show de Moschino puis passer faire un tour du côté de notre cher Christian Dior. »Je réalise, un peu tard, qu’elle m’a tiré de ma misère au détriment de sa propre situation. Elle doit se rendre au bar pour payer sa consommation.
« On aurait du se croiser plus tôt. Je l’aurai payé sans problème ce verre et je me serrai permis de boire autre chose que de l’eau gazeuse. » Je plaisante à demi, faisant référence aux besoins que je m’autorise en haute-société alors que d’habitude je me laisse assez souvent tenter par les douces flaveurs de l’alcool. Boire une coupe de champagne n’est pas mal vu ici, sauf pas accompagnée, et c’est ce que je suis ce soir malheureusement. Enfin, plus maintenant, maintenant qu’Aliéna est là.
« Mais bien sûr ma belle, allons-y, je ne veux pas que la sécurité te tombe dessus en te prenant pour une voleuse. » Je souris en la taquinant mais je regarde du coin de l’œil si la sécurité reste à son poste, mon passé de militante oblige : j’ai parfois du mal avec les expressions physiques de l’autorité.